Appelés à soutenir les efforts de l'Etat, dans un secteur qui ressemble au mythique tonneau des Danaïdes, les promoteurs privés, qui ont certes leurs problèmes, traînent dans la réalisation des projets sans compter les pratiques déloyales qui font qu'ils n'ont pas forcément bonne presse. Lorsque l'on se rapproche d'un promoteur immobilier à Tizi Ouzou, à l'effet d'acquérir un logement dans le cadre de la vente sur plan, l'on se croit forcément tout proche de la concrétisation d'un rêve : celui de quitter la maison familiale, et parfois la précarité, pour accéder enfin à son propre logement après tant d'années de sacrifices et d'économies. Mais, en dépit de toute l'attention accordée par l'Etat au secteur de l'habitat et l'arsenal réglementaire mis en place pour faire éviter à l'acquéreur d'éventuelles désillusions et autres déboires en cas de défaillance du promoteur, l'accès au logement promotionnel se fait-il toujours de façon sûre et dans le respect des lois en vigueur ? Dans la wilaya de Tizi Ouzou, où le secteur de l'habitat, en général, connaît déjà de sérieux problèmes comme d'ailleurs en témoigne le bilan de réalisation à la fin 2009 qui révèle que le taux d'avancement du programme de logements dans la wilaya n'est déjà que de 54,86%, le logement promotionnel, notamment celui confié aux promoteurs privés, est en pleine crise. Avec un taux qui n'a pas atteint 5% à la fin 2009, il est devenu, à juste qualificatif, le parent pauvre du secteur de l'habitat. Si certains acquéreurs ont la chance de voir leurs logements enfin achevés, bien que dans des délais dépassant souvent ceux fixés initialement dans les contrats de vente et avec une qualité qui laisse parfois à désirer, d'autres, et ils sont plus nombreux, prennent leur mal en patience durant plusieurs années, mais sans pour autant voir le bout du tunnel puisque leurs logements, pourtant chèrement payés, deviennent au fil des années qui passent, un rêve de plus en plus inaccessible. Parfois une désillusion ! Lorsque les promoteurs font fi des lois autorisées à la création pour, à la fois, pallier le déficit de l'outil public de réalisation et à la demande sans cesse croissante en matière de logement, les promotions immobilières sont devenues, pour certaines d'entre elles, une véritable source de déboires et de stress pour des centaines d'acquéreurs qui se retrouvent menés en bateau, sinon traînés en long et en large par ces promoteurs privés qui, en l'absence du contrôle de l'Etat et profitant du déséquilibre toujours important entre l'offre et la demande de logement, ne lésinent toujours pas sur des pratiques à la limite du loyal et qui vont à contresens des lois en vigueur. C'est le cas, par exemple, de la réservation du logement qui est interdite par le décret législatif 93-03 du 1er mars 1993, relatif à l'activité immobilière mais que les promoteurs font tout de même perpétuer. “Un contrat de réservation ne doit donner lieu à aucun paiement”, est-il stipulé dans l'article 5 de ladite loi qui précise que “le contrat de réservation est nul juridiquement”. Pourtant sur le terrain, la “loi” des promoteurs est celle qui est toujours de mise. En recevant un postulant au logement promotionnel dans leurs bureaux, souvent de luxe afin d'amadouer et mettre en totale confiance le futur acquéreur du logement ou du mirage, selon les cas, le promoteur lui fait immédiatement savoir qu'il doit verser une somme représentant 20% du prix du logement contre la remise d'une attestation de réservation qui n'a aucune espèce de valeur juridique et ne contenant, parfois, même pas toutes les indications relatives au projet ou au logement acheté. C'est une fois ce versement des 20% du prix du logement effectué, que les déboires, sinon la prise d'otage de l'acquéreur, commencent alors, puisque les contrats notariés de vente sur plan qui donnent accès au crédit Cnep et à l'aide de l'Etat, ne sont établis en réalité que plusieurs années plu tard. Les exemples sont à vrai dire légion et les pratiques des promoteurs toujours les mêmes. Les acquéreurs pris en otage Comme de nombreux autres, les acquéreurs des 90 logements LSP à Alma, dans la commune d'Irdjen, ou encore ceux qui ont postulé à l'achat d'un logement dans le cadre des projets 82 et 120 logements chez un promoteur qui s'est curieusement nommé “Groupe Hasnaoui Centre” à Tizi Ouzou, en savent sans doute plus. Ils sont plus de 200 pères de famille à être dans l'expectative. Ces derniers ont dû d'abord attendre plus de deux ans après le versement de l'apport personnel pour parvenir enfin à la signature des contrats de vente sur plan comme en témoignent les dates portées dans les attestations de réservation et les actes notariés des acquéreurs. Des actes auxquels ne sont pas, faut-il le noter, annexées les attestations de garantie délivrées par le Fonds de garantie et de caution mutuelle, FGCMPI, comme prévu par la loi 93-03 qui stipule dans son article 11 que “l'attestation de garantie est obligatoirement annexée au contrat prévu à l'article 10 portant vente sur plan”. Cette assurance garantit, selon cette même loi, à l'acquéreur le remboursement des paiements qu'il aura effectués au promoteur dans le cas d'insolvabilité de ce dernier. “Qu'à cela ne tienne !” disent les acquéreurs pour lesquels la plus grosse problématique se pose surtout en termes d'avancement du projet sur le terrain et le respect des délais de réalisation. Cinq ans après le versement de l'apport personnel, et près de trois ans après la signature du contrat notarié de vente sur plan, qui stipule pourtant que le délai d'achèvement du projet est de 18 mois auquel peut s'ajouter un prolongement de 5 mois, le chantier est encore à peine à ses débuts. Ce qui ne manque pas d'inquiéter les futurs acquéreurs dont certains, las d'attendre, ont décidé de saisir les autorités compétentes dont la justice, les services de la wilaya et du ministère de l'Urbanisme. Dans la requête adressée au wali de Tizi Ouzou, sollicitant son intervention et l'ouverture d'une enquête par les services compétents “afin de mettre fin à leur calvaire”, les acquéreurs expliquent que “les délais de réalisation sont achevés et les versements des sommes nécessaires au titre du crédit CNEP et de l'aide CNL sont effectués alors que les travaux sont à l'arrêt pour certains projets et non encore entamés pour d'autres projets”. “Cette situation nous laisse des plus inquiets quant à l'utilisation de notre argent acquis après tant d'années de sacrifices”, est-il encore écrit dans la même déclaration. “J'ai versé au total 124 millions de centimes entre l'apport personnel et la première tranche du crédit Cnep mais voilà que je me retrouve encore mis en demeure par le promoteur pour en verser davantage alors que sur le chantier aucune avancée notable n'est enregistrée”, nous raconte Akir Salah, un des acquéreurs des 82 logements situés à M'douha tout en s'interrogeant “où va donc l'argent des acquéreurs qui ont non seulement versé leur apport personnel mais qui ont aussi mobilisé des tranches de crédit comme stipulé dans le contrat de vente”. Les promoteurs s'en lavent les mains Les organismes financiers impliqués dans le montage financier triangulaire de ce genre de projets sont-ils censés contrôler l'avancement, sinon au moins le début, des travaux de réalisation de ces projets à chaque fois qu'il y a lieu de mobiliser les tranches de crédit et de l'aide CNL des acquéreurs au profit du promoteur ? Dans la convention signée entre l'acquéreur et la CNEP, l'article 08, qui fixe les modalités d'utilisation du crédit, stipule que 20% du crédit sont débloqués à la signature de la convention, 40% sur présentation d'un rapport technique établi par le bureau d'études du promoteur attestant la fin de l'infrastructure, 20% sur présentation d'un rapport technique attestant la fin de la superstructure, 15% à la fin du gros œuvre et 5% à la prise de possession. Il y a lieu de relever donc que ce n'est qu'à la mobilisation de la deuxième tranche du crédit au profit du promoteur que les organismes financiers procèdent au contrôle de l'avancement des travaux, et il est clair que c'est après le déblocage de la première tranche, qui n'est visiblement soumise à aucun contrôle, que certains promoteurs, dont Hasnaoui, se permettent tous les retards. Mais pour se justifier devant les acquéreurs, le promoteur en question impute tous les retards à la CNEP et la CNL qui n'ont pas, dit-il, débloqué les tranches de crédit de certains acquéreurs auxquels d'ailleurs, expliquent ces derniers preuves à l'appui, il a adressé des écrits pour demander “le règlement des tranches suivant le mode de paiement fixé dans le contrat de vente sur plan” tout en mentionnant que “le retard de paiement a déstabilisé les plans de financement de l'entreprise et au même temps subit l'inflation des prix des matériaux de construction ». Un courrier qui présageait une révision des prix des logements que le promoteur n'a pas d'ailleurs tardé à appliquer quelques semaines plus tard. Où est l'Etat ? Devant de telles situations, les acquéreurs victimes de ces pratiques ne cessent de s'interroger si ces promoteurs sont contrôlés par l'Etat où bien agissent-ils à l'insu des institutions de l'Etat et échappent-ils à leur contrôle bien que les programmes qui leur ont été confiés sont inscrits par l'Etat dans le cadre du programme quinquennal ? À Tizi Ouzou, en tout cas, les promoteurs continuent d'agir comme s'ils n'ont de compte à rendre à personne ni même à l'Etat, en défiant les lois régissant le domaine, ni aux acquéreurs qu'ils prennent en otage durant des années, et ce, sans pour autant qu'ils soient inquiétés. Le ministre de l'Habitat, qui s'exprimait récemment sur les ondes de la radio Chaîne III, avait sans doute, toutes les raisons d'annoncer « la refondation du décret législatif de 1993 dans le cadre duquel, a-t-il précisé, les promoteurs immobiliers qui se seraient rendus coupables de déviation, d'abus ou de fraude seront sanctionnés“, et aussi d'évoquer “le renforcement de la protection des clients des promoteurs immobiliers”.