Après le massacre de près de cent quarante concitoyens en une journée à Hama, Bachar Al-Assad a félicité “chaque soldat” de son armée. Avant d'inventer la fable de terroristes qui auraient volé des tenues militaires pour procéder à des assassinats en se faisant passer pour des militaires. Pour les chars, Bachar ne dit pas qui de ses soldats ou des terroristes en uniforme étaient à la manœuvre. Le ridicule peut cohabiter avec le tragique : le régime syrien a appelé l'Inde, qui vient d'hériter de la présidence tournante du Conseil de sécurité, à ne pas donner crédit à “la propagande” occidentale ! Pour l'heure, le maître de Damas peut sévir tranquillement. L'émotion et la désapprobation universelle n'ont pas entamé la position de la Chine et de la Russie : elles peuvent encore lui éviter une condamnation du Conseil de sécurité. En tout état de cause, aucune intervention ne peut être envisagée. Malgré l'émotion qui suscite une large réprobation, la communauté internationale reste ligotée par le contexte géopolitique de la tragédie. Pas seulement du fait du soutien chinois et russe au régime Al-Assad, ni du tiers-mondisme des pays émergents notamment, mais aussi parce qu'une intervention en Syrie recomposerait l'équation de la sécurité d'Israël. Stratégiquement, elle réveillerait une chaîne de forces qui va de l'Iran au Hamas palestinien en passant par le Hizbollah libanais qui risque de menacer la sécurité d'Israël au moment où celui-ci vit la plus grave crise sociale de son existence. Ironie de l'Histoire, dans cette épreuve, le peuple syrien paiera de sa solitude le parti pris traditionnel du monde occidental dans la question du Moyen-Orient. Même si elle le voulait, la “communauté internationale” ne pourrait pas voler à son secours, au risque de troubler une région elle-même en état de ni guerre ni paix. Elle devra donc se contenter donc d'incantations et de mesures de rétorsion à l'effet incertain. Reste le monde dit musulman et arabe. Mais celui-ci n'existe pas pour les peuples ; c'est une entité qui n'est effective que lorsqu'il s'agit d'assurer la défense des Etats membres, c'est-à-dire des régimes. Même si l'urgence humanitaire est évidente, la communauté des Etats arabes et musulmans se mure dans un silence honteux devant le massacre du peuple “frère”. Le cas syrien rappelle ceci : le monde arabe reste un monde de régimes. Le reflux des mouvements contestataires qui s'étaient d'abord manifestés au Maroc, en Algérie, au Soudan, en Jordanie et à Bahreïn a encouragé le recul des positions officielles arabes sur la question du destin politique de Kadhafi, par exemple. Le “Printemps arabe” connaît aujourd'hui une contre-offensive qui se nourrit de l'enlisement des belligérants dans l'affrontement libyen, du pourrissement du mouvement yéménite et du huis clos sanglant syrien. La communauté des dictatures arabes attend de voir la contre-révolution refouler les avancées démocratiques qui se profilent en Tunisie et en Egypte et espère en silence, que Bachar Al-Assad réussisse à mater la révolte en Syrie. Les Syriens savent qu'ils auront à assumer seuls le prix de leur libération. Cela ne semble pas les décourager. C'est en cela que l'espoir d'une Syrie libre reste intact malgré l'impuissance des uns et l'indignité des autres. M. H. [email protected]