La matinée s'étire paresseusement. Le soleil dardait à plomb ses rayons poudreux depuis plusieurs heures déjà, et le parking du quartier, d'ordinaire si vide, reste empli. Un petit groupuscule d'adolescents, visiblement sans perspective, mais jovial à souhait, se relaie pour une partie de billard autour d'une table installée à l'ombre de l'unique grand arbre qui y végète. Le quartier n'est pas encore tiré de son sommeil, ni gagné par le bruit des journées d'automne. Seuls deux vendeurs à la criée, aux “accents de province”, l'un proposant des sardines et l'autre un troc de vieux meubles brisaient le silence de cette chaude matinée. En ce mercredi, troisième jour de Ramadhan, à Bab-Ezzouar à l'est d'Alger, le temps est comme suspendu. Très peu de gens dehors. Les magasins sont pour la plupart fermés. Hormis les pharmacies, deux ou trois quincailleries et quelques librairies et magasins de prêt-à-porter, le reste donnant l'air d'avoir mis la clé sous le paillasson. Sur les routes, d'habitude encombrées, la circulation est très fluide. D'un geste mécanique, l'air flemmard, les policiers postés aux carrefours, chargés de filtrer les véhicules, font signe aux automobilistes de poursuivre leur chemin. Même les marchés, pris d'assaut en d'autres circonstances, ne connaissent pas encore la frénésie. Sur la grand'rue qui conduit à l'autoroute, quelques vendeurs de gâteaux orientaux, très prisés par les consommateurs durant le Ramadhan, proposent leurs marchandises aux rares passants que vient de “déverser” le tramway, objet de toutes les curiosités il y a à peine quelques semaines, mais qui, aujourd'hui, traverse la ville dans l'indifférence. Sur l'autoroute appréhendée pourtant par les automobilistes pour les embouteillages monstres qu'elle connaît régulièrement, la circulation est aussi très fluide. Pas plus de dix minutes suffisent pour gagner le centre de la capitale. Le “check-point” qui d'ordinaire agace nombre d'automobilistes est allégé. Les policiers n'ont d'yeux désormais que pour les camionnettes qu'on fouille minutieusement. Le risque d'une infiltration terroriste est toujours redouté. L'irrésistible attrait du marché À Alger qui, de coutume, fourmille de monde, les rues sont affreusement vides. Seuls deux endroits en fin de matinée commencent à recevoir les premiers visiteurs : les marchés et les mosquées. Dans les uns, on implore les marchands, dans les autres Dieu. Au marché Clausel ou encore à Ali-Mellah, le négoce peut bientôt commencer. Tout se vend. De la galette “faite maison”, aux jus en sachet, en passant par la vaisselle en vrac, l'endroit est achalandé. Bien entendu, ce sont les fruits et légumes qui cristallisent la demande, notamment de la part de la gent féminine. On spécule, on vitupère, on marmonne et on grogne. L'heure est aux bonnes affaires car bientôt le début des préparatifs du festin du soir. Au fil du temps, les marchés deviennent une véritable fourmilière. Il faut dire que contrairement aux années précédentes, la plupart des gens ont préféré prendre leur congé au mois de Ramadhan. “L'entreprise nous a demandé de choisir entre juillet et août, et j'ai préféré prendre mon congé ce mois-ci”, affirme Ali, cadre d'une entreprise publique. Ses vacances ? Il les partage entre les longs sommes, les patrouilles dans les marchés et les parties de belote le soir. Même ceux qui n'ont pas eu la chance d'un congé travaillent au ralenti et n'hésitent pas à “voler” quelques minutes pour aller humer les effluves des épices dans les marchés. Témoignage de Ratiba : “Je m'ennuie beaucoup au boulot. On passe le plus clair de notre temps sur facebook. Au marché, on ne sent pas le temps passer”, affirme cette jeune fille, employée d'une boîte privée. Il est 18h et l'heure de la délivrance approche. Sur les routes, la course à l'arrivée est engagée. On klaxonne, on insulte et parfois même, ne vous étonnez pas de voir des bras d'honneur sortir d'une fenêtre de voiture. À l'entrée des immeubles et dans certains jardins, des groupuscules de jeunes ou de vieux s'égarent dans des palabres en attendant l'appel du muezzin. Quant aux “restaurants du cœur” et autres cafés, on s'affaire à apporter les dernières retouches aux préparatifs. À l'heure du f'tour, Alger se vide. Devient fantomatique. Elle est même “colonisable”. Seuls les policiers, tenus par le travail postés, sont encore dehors et attendent fiévreusement l'arrivée de la pitance. Il faut attendre une demi-heure pour voir enfin la ville retrouver des couleurs. Repus, les gens se montrent aimables et retrouvent le sourire. Les terrasses des cafés sont bientôt prises d'assaut et les ruelles envahies. L'interdit du jour devient licite la nuit. On boit sans trêve et on importune les filles. À Bab El-Oued, les plus téméraires préfèrent piquer allégrement une tête dans la mer, sous les projecteurs, en dépit des mises en garde de la Protection civile. Sur l'esplanade qui surplombe la plage El-Kettani, des familles entières y affluent, par groupes, pour humer l'air frais marin. Tandis que les enfants s'amusaient aux courses-poursuites, les plus âgés s'attablaient pour déguster qui une glace, qui un café. Flairant le coup, certains jeunes ne ratent pas l'aubaine pour faire quelques bonnes affaires. On vend des jouets et même du thé labélisé “du Sahara”. Et tout le monde semble trouver son compte. Au célèbre café “Malakoff”, où le gratin du châabi, du défunt Hadj El-Anka à El-Ankis en passant par feu Guerrouabi y a laissé son empreinte, toutes les tables sont occupées. Le tenancier, visiblement ravi de l'affluence, distribue les sourires et les bons mots. Non loin de là, discrètement, les policiers veillent à la sérénité du “peuple”. La nuit s'étire et les gens refusent de céder aux avances de Morphée. Dans certains quartiers, les parties de dominos aux bas des immeubles sont interminables. Demain on dormira encore. Un autre jour de jeûne. Pour le travail ! Le pays peut attendre la rentrée…