“Si quelque chose égale la sobriété des Arabes, c'est leur gloutonnerie. Admirables estomacs qui, tantôt ne mangent pas de quoi satisfaire un enfant, et tantôt se satisfont tout juste avec ce qui étoufferait un ogre”, écrivit le peintre et écrivain E. Fromentin dans un Eté dans le Sahara. Les Algériens, comme des millions de musulmans dans le monde, se dépensent durant le mois sacré mais ont la tête ailleurs, laissant de côté la paperasse et les dossiers administratifs. En cette première semaine du mois sacré, on fait plus la queue devant les vendeurs de zlabia ou de kalb el-louz et moins devant les guichets des mairies ou de la poste. Les travailleurs manuels auxquels il est exigé un certain effort physique sont les plus exposés à l'épuisement, sans oublier également les préposés aux guichets de la poste, des banques et des administrations locales, qui doivent s'armer de patience pour pouvoir affronter les réclamations et les humeurs des uns et des autres. “C'est très délicat d'accueillir des centaines de personnes par jour, il faut avoir beaucoup de sang froid, surtout l'après-midi lorsque nous sommes vraiment fatigués. Le mieux serait d'ignorer les provocations, voire les insultes des clients, mais parfois nous ne pouvons pas contrôler nos nerfs et, très vite, ça dégénère en dispute”, nous confie un employé d'Algérie Télécom de Constantine. Le réveil est pénible pour ces millions d'Algériens, qui, comme le veut la tradition, veillent jusqu'au s'hor et partent quelques heures plus tard au boulot. Le manque de sommeil, le ventre vide, manque de nicotine et de caféine pour certains, dans les bureaux l'ambiance est morose, l'activité est au ralenti et est aggravée par la vague des départs en congé. Le service minimum est, certes, assuré dans toutes les administrations mais il est tout de même important de signaler que dans certains services, on a du mal à combler le manque de personnel parti en congé. C'est par exemple ce qui est arrivé dans une banque du centre-ville de Constantine et dont l'un de ses employés nous explique comment se passent les journées de travail pendant le Ramadhan. “Heureusement que la plupart des clients sont venus retirer leur salaire juste avant le Ramadhan. Le 1er août, nous avons eu cinq départs en congé, ce qui est important pour notre agence. Pour le moment, nous avons quelques difficultés pour gérer la comptabilité, toutefois nous nous attendons au pire avec la fin du mois qui coïncidera avec l'Aïd et la rentrée sociale. Il y aura beaucoup de monde aux guichets.” Dès le mois de juin, les services des ressources humaines sont donc très sollicités par les travailleurs : les semaines de congé de la période de la saison d'été sont les plus importantes de l'année, et la coïncidence entre le mois d'août et le Ramadhan n'arrange apparemment pas les choses pour les ressources humaines. Si certains ont choisi de prendre les vacances au mois de juillet ou même les laisser pour septembre pour pouvoir profiter une semaine ou deux de la mer, la tendance cette année est que beaucoup d'employés veulent éviter de travailler au mois d'août. Difficile pourtant de satisfaire tous les salariés. Dans le meilleur des cas, les administrations n'ont guère le choix que de chercher des formules pour répondre aux attentes des employés. Par tirage au sort le plus souvent ou par sélection selon le grade, la fonction ou même le sexe, les travailleurs ont la possibilité de s'entendre entre eux sur la date des départs en congé. “Pour le mois de Ramadhan, la priorité va aux femmes, leurs collègues de la gent masculine acceptent généralement de travailler durant le mois sacré. Le personnel commercial (les femmes surtout) peut travailler la nuit au-delà de 21h par dérogation de l'inspection du Travail. Il n'y a pas de gestion spécifique pour le Ramadhan, mais chaque service peut fractionner les départs de congé. Les salariés peuvent ainsi choisir entre eux les dates de congé", nous explique un responsable d'une entreprise privée de télécommunications. Ce dernier nous a, par ailleurs, confié que, contrairement à ce qu'on pourrait croire, une bonne partie des salariés préfère travailler durant le mois de jeûne parce que, dit-il, “le rythme de travail est au plus bas". Les retards de plus en plus tolérés Autre fait marquant qui caractérise nos administrations pendant le mois sacré, c'est la baisse de niveau dans le rendement. Car si les commerçants transpirent et se donnent beaucoup de mal durant ce mois sacré, ce n'est vraiment pas le cas pour les travailleurs, surtout ceux du secteur public. C'est du moins ce que nous confirme un responsable d'un service de la Cnas de Constantine, qui nous précise qu'en dépit de la vigilance des responsables qui appliquent rigoureusement les règles, selon lui, rien n'y fait, la cadence de travail est loin d'être bonne, des employés continuent d'arriver avec une ou deux heures de retard, et le plus souvent ce sont leurs collègues qui les couvrent. “Tous les matins, les chefs de service convoquent des dizaines de travailleurs pour les sommer de ne plus venir en retard. Quand il s'agit de moins d'une demi-heure, les responsables ferment les yeux, mais quand ça dépasse les quarante minutes, l'employé risque un avertissement,” nous fait savoir Moncef. Cette tendance à l'absenteisme est toutefois moins importante dans le secteur privé où les fautes professionnelles sont durement sanctionnées.