Au delà des quiproquos, des chocs culturels et des divergences de vue sur la manière de gérer des deuils, ce film est avant tout à voir comme la rencontre de deux drames : celui des enfants et celui de Bachir Lazhar, qui s'est montré d'une remarquable sensibilité. Son drame lui a donné la force d'aider les enfants, et ces derniers lui ont donné la force de dépasser le sien. Le soleil est de retour à Locarno. Et le réalisateur canadien Philippe Falardeau, réalisateur du film Bachir Lazhar, mettant en scène l'histoire d'un immigrant algérien à Montréal, ne peut que s'en réjouir. Naturellement le public avec. Plus de 5 000 festivaliers ont suivi cette projection à la belle étoile sur la fameuse Piazza Grande. Prise dans l'émotion, la place se réveille avec un tonnerre d'applaudissements. Falardeau et Fellag viennent de se lancer sur les traces des léopards. Auparavant, le débonnaire Gérard Depardieu est monté sur scène pour recevoir son Léopard d'honneur et mettre un peu d'ambiance. Quand le réalisateur montréalais a investi timidement la scène, il a exprimé son angoisse de montrer son film à autant de monde. Nonobstant, il a trouvé la sagesse de rendre hommage au immigrants. “A l'école, Bachir Lazhar a cessé d'être immigrant algérien pour devenir un être humain”, avait-il relevé avant de quitter la scène. Le premier plan, en plongée, révèle une cour d'école : des enfants y jouent et papotent avec insouciance. Un enfant s'en détache pour rejoindre les couloirs, puis la classe où il trouve son institutrice pendue. Ce tragique événement a créé un grave traumatisme et un profond malaise. La directrice peine à trouver un remplaçant. Un Algérien, Bachir Lazhar, interprété magistralement par Mohammed Fellag, fait incursion dans son bureau pour proposer ses services. Persuasif, la directrice lui offre le poste sans se poser de questions. Les élèves sont rassurés et touchés par la sensibilité et la protection que le nouvel instituteur leur apporte. Il s'est montré attentionné, bienveillant et sensible. Il donne la signification de son nom et prénom : “le porteur de bonnes nouvelles et le chanceux”, leur explique-t-il avec amusement et tendresse. Mais très vite, on découvre que ce “chanceux” n'est pas si heureux que cela : il vit un drame aussi intense que celui des élèves. En fait, sa famille a été massacrée en Algérie et il est menacé d'expulsion du territoire canadien faute de papiers. Entre-temps, la directrice apprend que Monsieur Lazhar était restaurateur et pas enseignant en Algérie comme il l'avait prétendu. Elle le prie de quitter son école sur le champ. Avec force, il lui lance : “On ne quitte pas sans dire au revoir ! Et Martine (la suicidée) a quitté sans prévenir !” Cette réplique lui vaudra une dernière heure d'enseignement durant laquelle il fait ses adieux à ses chérubins. Le réalisateur a alterné les plans d'ensemble et des plans rapprochés qui favorisent l'introspection. Autrement dit, la réalisation se veut très simple et la camera observatrice. Le scénario, adapté d'une pièce de théâtre d'Evelyne de la Chenelière, est simple et centré sur le drame que les personnages se partagent. À regretter le vide que véhiculent parfois certains plans et scènes. L'interaction entre le maître de classe et les élèves est extrêmement réduite. La curiosité et la spontanéité des enfants ne sont pas bien exploitées et sont suffoquées par le scénario rigide. La Piazza se réveille avec un tonnerre d'applaudissements et découvre que deux étoiles se sont ajoutées au ciel. Falardeau vient d'afficher ses prétentions d'apprivoiser le Léopard, et Fellag vient peut-être de se lancer sur les traces du Léopard d'interprétation masculine. Ça serait la meilleure distinction de sa carrière. Fellag, accroche-toi ! le léopard est aussi sauvage que rusé.