Après l'image figée, le photographe se tourne vers l'image mobile. Plus parlante, la caméra peut aller au-delà des non-dits et des regards exprimés… Vous préparez actuellement votre premier long-métrage, Tahya El Djazayr, consacré à la décennie noire qu'a vécue l'Algérie. Comment vous est venue cette idée ? L'idée a émergé après avoir vu des photos d'un photographe suisse ayant « couvert » le drame algérien qui se passait, en quelque sorte, à huis clos. Le photographe a réussi - si j'ose dire - à rapporter des images d'une guerre qui était justement sans images. Nombre de livres ont été écrits sur cette période, mais rares sont ceux qui ont abordé le côté humain et social de la chose. D'où l'idée d'écrire un scénario en mettant en avant le drame humain, en se basant sur des histoires vécues, des témoignages. Que voulez-vous apporter de plus par rapport ux films qui ont déjà abordé cette période, comme Rachida de Yamina Bachir Chouikh et Là-bas mon pays d'Alexandre Arcady ? Tahya El Djazayr apporterait, je l'espère bien, une pierre parmi d'autres à un édifice qui reste à construire, c'est-à-dire qu'un témoignage de plus sur les années noires de l'Algérie viendrait s'ajouter aux autres. Je crois qu'on peut aborder cette période de différentes manières avec cent films différents, mais il restera toujours des choses à dire, plusieurs points de vue possibles. Vous estimez que Tahya El Djazayr pourrait lever le voile sur certains détails et apporter quelques vérités… Il n'apporte pas une vérité nouvelle. L'ambition et l'objectif premiers étant de montrer à un public qui, faut-il le préciser, n'est pas forcément algérien, un autre regard que celui que l'on a proposé pendant ces années de terrorisme. Les mêmes images de terreur sont actuellement montrées avec le drame de l'Irak. Et comme ce fut le cas chez nous, les attentats et les massacres sont banalisés. La télévision ne montre pas la réalité, voire même qu'elle l'a manipule. C'est dans ce sens que j'utilise l'expression « lever un pan du voile » sur le terrorisme, il s'agit de montrer un peu le quotidien d'un peuple, le nôtre, durant cette décennie noire. Vous avez fait le choix de mettre en situation des personnages particuliers et vous avez limité le film dans le temps. Pouvez-vous nous en dire plus ? Durant ces années où le pays était à feu et à sang, les artistes, les journalistes, les femmes surtout, étaient les premiers à être touchés, à être dans la ligne de mire des terroristes. Les personnages du film font référence à ces victimes. Par la suite, ce sont les villageois qui ont été visés ; on se souvient de ces massacres collectifs, certainement les pires moments dans ces pires années. Pour ma part, j'ai choisi de limiter mon film à 1995, lorsque Liamine Zeroual a été élu président de la République. Pour en revenir aux massacres de villageois, il est clair que cette partie de l'histoire devrait être traitée seule à l'écran, tant il y a de choses à raconter. Concrètement, est-il difficile de traiter cette période ? Y a-t-il des barrières administratives, financières… qui visent à limiter les artistes de s'étendre sur cette question ? Tout dépend comment cela se manifeste dans la réalité. Je peux comprendre que les autorités nous refusent des financements mais nous laissent libres de tourner ce qu'on veut. Mais il faut voir après sur le terrain si on vous laisse tourner, tout en vous accordant les autorisations nécessaires. En l'occurrence, pour ma part, je n'ai jamais eu de problème bien que j'aie tourné dans la Casbah une scène violente d'un terroriste face à sa victime ; je n'ai jamais senti une quelconque tentative de me barrer la route, de me rendre les choses difficiles… J'étais accompagné par les gars de la DGSN qui ont été très efficaces, sans jamais me gêner, bien au contraire. Quand je m'étais renseigné sur d'éventuelles restrictions et des difficultés pour obtenir les autorisations de tournage, le producteur m'avait dit qu'à part brûler le drapeau algérien dans un film, on pouvait faire ce qu'on voulait. Bien entendu, il n'y aura jamais de drapeau algérien brûlé dans mon film, ni dans aucune autre réalisation d'ailleurs et surtout pas quand le film s'appelle Tahya El Djazayr. Mais je pense qu'il est tout à fait compréhensible que les autorités refusent de financer et/ou de diffuser des œuvres qui vont à l'encontre de certaines valeurs, c'est tout un débat en fait. Mais sauf si l'on empêche les cinéastes de tourner, cela n'a aucune importance…pour moi en tout cas. Mais ceci dit, il n'y avait pas de raisons pour saboter Tahya El Djazayr car c'est un film qui traite de notre histoire, du point de vue de la population, sans aucun parti pris. Les réalisateurs algériens sont souvent confrontés aux dilemmes de financement, la Télévision algérienne et le ministère de la Culture figurent parmi vos partenaires. A quelle hauteur était la part de l'ENTV ? En fait, je dois préciser d'abord que le ministère de la Culture ne figure plus, à mon grand regret, sur la liste des partenaires. Je juge important de faire savoir, ensuite, que les subventions dans le cadre du Fdatic n'ont pas été débloquées pour ce film, à mon grand regret. Pour ce qui est de la Télévision algérienne (ENTV), l'aide proposée est beaucoup plus matérielle et ne concerne aucunement les aspects financiers. Je dois remercier au passage les dirigeants rencontrés qui, malgré leurs volontés affichées d'aller encore plus loin dans leurs aides, ne peuvent travailler à contre-courant d'une loi qui empêche de dresser les portraits des terroristes d'une manière ou d'une autre. Je souhaiterais ajouter dans la foulée que le film Tahya El Djazayr s'accompagne d'un documentaire de 52 minutes qui évoquera, en quelque sorte, la vie quotidienne des Algériens en 2008 et ce, via le prisme d'un tournage à Alger. Ce documentaire, destiné essentiellement pour l'Algérie, a d'ores et déjà reçu l'appui de différents sponsors algériens. Il fera l'objet d'une campagne promotionnelle spéciale. Des comédiens s'exprimeront sur leur travail, sur l'Algérie d'aujourd'hui. Un casting de plusieurs centaines de personnes sera organisé. Le panorama d'Alger en tant que ville cinématographique, susceptible d'attirer les tournages par sa lumière particulière, son architecture et sa sonorité particulière figurera en premier plan. Pourquoi le ministère de la Culture ne figure plus sur la liste de vos partenaires. Et pourquoi les subventions dans le cadre du Fdatic n'ont pas été débloquées. Y a-t-il une volonté quelque part de voir votre projet tomber à l'eau ? La raison de ce refus, qui nous a été d'ailleurs clairement opposé, est liée au fait que le scénario ne correspond pas à la réalité de ce qui s'est passé en Algérie. Or, cela m'étonne car, avant d'écrire le scénario, il y a eu un travail de documentation et de recherche de six mois. Je me suis basé sur la méthode de Gillo Pontecorvo pour La Bataille d'Alger, qui disait qu'après s'être documenté pendant un an, le scénario s'est écrit tout seul. La plupart des scènes de Tahya El Djazayr sont issues d'histoires vraies. Nous n'avons fait que changer les noms, tisser des liens familiaux entre les protagonistes alors qu'ils ne se connaissaient pas forcément dans la réalité, etc. De plus, même si la durée ( 1991 à 1995 ) a été compressée pour en faire un film de 2h, une attention particulière a été portée au fait que les événements se suivent dans l'ordre chronologique de la réalité. Enfin, le scénario a été soumis à la lecture d'une journaliste algérienne connaissant bien le sujet, au ministère des Affaires étrangères français dans le cadre des aides du Fonds Sud Cinéma, au CNC et à chaque fois les retours étaient très flatteurs. Les seuls points négatifs étaient sur la durée du film ( 2h30 ), jugée très longue et sur quelques autres longueurs dans la construction dramatique. Tout cela est en cours de réécriture. J'ajouterai que le scénario a été lu par tous les comédiens algériens et l'équipe de production algérienne et chacun a été touché par le sujet, car nombre d'entre eux ont vécu de très près ces années de terreur. Pour finir, pensez-vous qu'il est encore utile de se retourner sur son passé ? Je crois que c'est très important pour une démocratie de voir en face son histoire aussi douloureuse fût-elle et de ne pas l'occulter. C'est comparable à un traumatisme psychologique pour une personne. On ne peut pas lui demander d'oublier ce qui lui est arrivé, de faire comme si rien ne s'était jamais passé. C'est même dangereux comme démarche. Au contraire, il faut en parler, crever l'abcès pour qu'enfin on puisse dire : « li fet met ». Repères Né à Sidi Khaled, dans la région de Biskra, en 1972, il s'installe en France très jeune. Il s'intéresse très tôt à la photographie et fait une formation de photojournalisme après le baccalauréat. Entre 1993 et 2005, il se consacre entièrement au métier de photographe et réalise, entre autres, un grand nombre de reportages thématiques : « 24 heures dans le quartier des Halles (France » (1994), « la jeunesse en Algérie » (2004), « Tchernobyl (Ukraine) » (2006)… Par la suite, ses travaux le mènent vers la publicité. Il travaille comme photographe pour des défilés de mode et des agences de publicité, avant de changer son appareil photo pour une caméra. En 2006, il réalise deux courts métrages La Veine Jugulaire (Alger) et Triptyc (Paris). Tahya El Djazayr sera son premier long métrage. Pour lui, se sera l'aboutissement d'un retour vers sa passion pour l'actualité et pour son pays d'origine.