Les habitants de la ville de Tizi Ouzou et de sa périphérie se sont, encore une fois, réveillés, hier à 4h20 précises, sous le choc d'une puissante explosion entendue à plus d'une dizaine de kilomètres à la ronde. Dans les esprits tirés de leur sommeil par la déflagration et les éclats des vitres, à une heure pareille, il n'y avait plus de place au doute. Habitués à ce genre de situation, le commun des mortels a vite compris qu'il s'agissait d'un attentat terroriste. En effet, dans le centre-ville de Tizi Ouzou vers lequel accoururent les habitants par centaines, le décor est déjà planté. Il est désolant. Cauchemardesque. Un mur d'enceinte du commissariat éventré, un immeuble en partie soufflé, des immeubles mitoyens fortement endommagés, d'autres plus loin touchés, des restes d'un véhicule éparpillés par-ci, par-là, une tête humaine déchiquetée et d'autres membres d'un corps jonchant le carrefour du Djurdjura s'offrent aux yeux. Un kamikaze est passé par-là. Il s'est fait exploser avec une très forte charge, faisant une trentaine de blessés entre civils et policiers. Mais le décor sonne le déjà-vu. À l'aube du 3 août 2008, et c'était aussi un dimanche, le même paysage désolant s'offrait aux yeux des habitants de la ville qui ont été secoués par une explosion similaire produite par un attentat kamikaze qui a ciblé le siège de la direction régionale des renseignements généraux, situé à quelques dizaines de mètres du lieu de l'attentat d'hier. L'attentat kamikaze en question a fait 25 blessés dont 4 policiers. Sept mois après cet attentat-suicide, à travers lequel les islamistes armés qui venaient de prêter allégeance à Al-Qaïda au Maghreb voulaient démontrer leur force de frappe, concentrée dans le triangle Tizi Ouzou-Bouira-Boumerdès, un autre kamikaze cible un cantonnement de la garde communale à Tadmaït, une localité située à 20 kilomètres à l'ouest de la ville de Tizi Ouzou. C'était le 6 mars 2009. Le kamikaze, muni d'une ceinture explosive, n'a pas hésité à se faire exploser lorsqu'il a été repéré par les gardes communaux, faisant deux morts dont une vieille dame. Le 25 juillet 2010, un véhicule de marque Toyota Hilux, conduit par un kamikaze et chargé de plus de 5 quintaux d'explosifs, fonce droit sur la brigade de gendarmerie du chef-lieu communal de Béni Aïssi, 15 kilomètres au sud de Béni Douala. Bilan : un agent de sécurité de l'APC tué, huit gendarmes grièvement blessés et des dégâts matériels qui se chiffrent par milliards. Une année plus tard, après plusieurs projets d'attentat déjoués, voilà qu'un quatrième attentat kamikaze replonge la population de la région de Kabylie dans la psychose, comme en témoignait l'état des habitants hier. Mais en quoi l'attentat d'hier diffère des trois précédents ? Si les attentats kamikazes précédents ont eu lieu dans un contexte marqué par une forte recrudescence des activités terroristes qui étaient particulièrement concentrées dans les trois wilayas de Tizi Ouzou, Bouira et Boumerdès, celui d'hier a été perpétré dans un contexte marqué plutôt par une remarquable accalmie qui dure depuis plusieurs mois dans la wilaya de Tizi Ouzou. Une accalmie que le discours officiel a vite fait de classer dans le registre du fruit des efforts accrus consentis dans le cadre de la lutte antiterroriste, d'un côté, et de la réconciliation nationale, de l'autre. Une accalmie qui a été également considérée comme le résultat d'un maillage sécuritaire de plus en plus important à travers l'ouverture de nouvelles infrastructures de sécurité et le renforcement des barrages et points de contrôle sur les routes. Mais voilà, encore une fois, que le maillage en question a révélé des défaillances que les sinistres islamistes armés, dont l'activité a pourtant grandement baissé, ont su exploiter pour semer la terreur, s'assurer un effet médiatique et psychologique et, surtout, semer encore le doute quant à leur force de frappe. Il y a lieu aussi de relever que si le contexte de l'attentat d'hier diffère de celui des attentats précédents, certains questionnements demeurent toujours les mêmes. Comment et par quel canal de telles quantités d'explosifs ont pu être introduites à l'intérieur de la ville sans attirer le moindre soupçon jusqu'au jour de leur utilisation ? Il y a lieu aussi de s'interroger dans quels endroits de la ville des véhicules volés généralement quelques heures avant l'attentat sont chargés d'explosifs et aussi quel rôle jouent les détecteurs d'explosifs ? C'est dire que le terrorisme n'est pas le propre des maquis.