Dans cet entretien, ce spécialiste du droit plaide de nouveau en faveur de la dépénalisation de l'acte de gestion ainsi que pour l'indépendance de la justice. Il aborde la question de la dépénalisation du délit de presse qui pourrait contribuer à freiner l'extension du phénomène de la corruption en Algérie. Liberté : En quoi la pénalisation de l'acte de gestion encourage-t-elle la corruption ? Me Brahimi : Je n'ai jamais dit que la pénalisation de l'acte de gestion encourageait la corruption. Je dis que c'est un obstacle à la lutte contre la corruption. Cet obstacle peut favoriser la corruption. Autant il est facile de comprendre ce qu'est la corruption et de la combattre comme telle, autant il est difficile voire même impossible d'appréhender l'acte de gestion et de le poursuivre. J'en déduis que lorsqu'on poursuit les gestionnaires pour acte de gestion, c'est qu'on n'a pas envie de poursuivre les corrompus, peut-être même qu'on le fait pour éviter de poursuivre les corrompus. Qu'en est-il de la dépénalisation de l'acte de gestion ? Il s'agit d'un sujet extrêmement grave puisque nos gestionnaires se débattent depuis plusieurs décennies dans les poursuites souvent injustes favorisés par la pénalisation de l'acte de gestion. C'est pourquoi nous avons tous accueilli avec un énorme espoir la déclaration publique du président de la République en faveur de la dépénalisation de l'acte de gestion dès lors qu'il a annoncé solennellement la dépénalisation de l'acte de gestion. Hélas, l'engagement du président de la République a été vidé de sa substance par la bureaucratie chargée de donner un contenu concret à cet engagement. J'ai découvert à cette occasion que le parti le plus important qui active en Algérie, le plus efficace est précisément cette bureaucratie. Ce sont les articles 26 et 29 de la loi du 20 février 2006 relative à la lutte contre la corruption et les maux sociaux qui font problème. En vous rappelant que dépénaliser, c'est abroger . Aucun de ces deux textes n'a été abrogé. Ils ont été remodelés de telle façon qu'il ne s'ensuit aucune conséquence positive pour les gestionnaires. Par exemple, la seule transformation de l'article 29, c'est le déplacement du mot sciemment qui est remonté d'une ligne ou deux dans la rédaction de cet article. C'est proprement effrayant. Quant à l'article 26, je signale qu'il est à la sixième modification depuis 1975. Je voudrais simplement rappeler que dans sa première mouture, il sanctionnait le fonctionnaire à la recherche d'un avantage personnel. Ce qu'on peut comprendre puisque la recherche d'un intérêt personnel peut être assimilé à la corruption alors que dans la mouture actuelle, on sanctionne l'agent public qui procure un avantage à autrui. Entre ces deux rédactions, on est passé de la sanction du fonctionnaire dont le seul objectif était de porter atteinte aux intérêts supérieurs de la nation, ce qui de mon point de vue procède du dérèglement de l'esprit chez les rédacteurs de ce texte. En vérité, ce texte avait dû être abrogé parce qu'il agit contre les intérêts bien compris de l'économie algérienne. En infraction avec les engagements du président de la République, qui a donc annoncé solennellement la dépénalisation de l'acte de gestion, la loi du 2 août 2011 censée concrétiser l'engagement du chef de l'Etat a consacré plutôt la pénalisation de l'acte de gestion. La dépénalisation du délit de presse a-t-elle subi le même sort ? La réponse est identique à celle du délit de gestion, du moins dans la loi du 2 août 2011 Là encore, le président de la République a pris l'engagement solennel de dépénaliser le délit de presse, c'est-à-dire principalement la diffamation par voie de presse qui cause beaucoup de problèmes à nos journalistes, eh bien lisez la loi du 2 août 2011, vous n'y trouverez pas l'ombre d'une dépénalisation du délit de presse. Cette loi porte dépénalisation partielle de l'offense au chef de l'Etat. Comme si la bureaucratie a voulu le prendre au mot pour l'unique infraction qui le concerne, à l'exclusion de toute autre. Heureusement qu'est intervenu le projet de loi sur l'information dont on attend le vote incessamment au Parlement. Il mérite qu'on en dise un mot. Nous savons tous que dans sa première rédaction, le projet de code de l'information a déçu la profession. Mais il faut savoir ce qui s'est passé. Je porte témoignage que le ministre de la Communication est ouvert aux changements les plus audacieux pour renforcer la liberté de la presse. Mais la bureaucratie a décidé que le code de l'information qui est une loi spéciale ne doit pas toucher au code pénal qui lui est d'ordre général. C'est pourquoi la première mouture du code de l'information n'a pas touché à la dépénalisation du délit de presse qui pour des raisons historiques a été introduit très partiellement dans le code pénal de 1966. Il faut savoir que dans la loi française, le délit de presse est régi par une loi spéciale : la loi du 29 juillet 1881. Après l'indépendance, compte tenu de la nature du système (parti unique, presse liée au pouvoir) on n'a pas reconduit la loi du 29 juillet 1881, mais on en a retenu quelques dispositions en particulier en matière de diffamation qui ont été intégrées au code pénal algérien. Donc, si on vous demande de ne pas toucher au code pénal quand vous travaillez sur le code de l'information, on vous empêche par la même occasion de dépénaliser le délit de presse. Dieu merci, lorsque le projet de loi sur l'information a été soumis au Conseil des ministres, la raison a triomphé parce que la question est sortie des arcanes de la bureaucratie pour être confié au pouvoir politique. Je rêve qu'un jour il en soit de même pour la dépénalisation de l'acte de gestion qui est également de nature politique. Les instruments de lutte contre la corruption sont gelés… Je n'ai pas de réponse précise. C'est l'occasion de rappeler deux choses. En premier lieu, tant qu'on continue à faire la chasse aux gestionnaires dans leurs activités professionnelles, on ne lutte pas contre la corruption. En second lieu, la Cour des comptes a fonctionné à profusion au début des années 1980 dans le cadre d'une opération hautement politicienne. Je fais allusion à la campagne de déboumedienisation des années 1980. Une justice aux ordres constitue un facteur favorable à l'extension de la corruption dans le pays. Je ne vous apprends rien en vous disant que notre justice est liée au système dans lequel elle évolue. Et ce système ne s'est jamais accommodé d'une justice véritablement indépendante au sens où on l'entend dans les pays démocratiques. C'est une autre façon de dire que l'évolution de la justice est liée à l'évolution du système politique dans son ensemble. Un dernier mot… Dans votre quotidien du 17 mars 2011, j'ai soumis à vos lecteurs une réflexion intitulée : “La dépénalisation de l'acte de gestion : mythe ou réalité ?” Force est de constater qu'on est encore au stade du mythe. Et ce n'est pas le nouveau code des marchés publics qui me démentira.