L'hommage rendu par la capitale des Zianides à Ahmed Seri a été particulièrement somptueux. De grands moments musicaux, des émotions à peine contenues, un majestueux public qui ne ménagea point ses efforts pour donner à la manifestation une dimension magique. Et c'est mon ami Fayssal Benkalfat qui souligne. Le grand maître de la musique classique algéroise méritait grandement autant d'égards. Adulé comme chanteur et vénéré comme pédagogue par de nombreux élèves qu'il forma des années durant au sein de l'Association El Djazaïria El Mossilia, il était présent à Tlemcen porté par ses disciples dont certains étaient venus d'Alger, de Rabat et de Paris. Fréquentant, alors qu'il n'avait que quatre ans, une vieille école coranique de La Casbah d'Alger où, en sus des versets du Livre Sacré, l'élève était initié au chant religieux dérivé de la musique classique algérienne, il était clair dès lors que le penchant de Ahmed Seri pour le patrimoine musical classique algérien devenait inévitable. L'option de Ahmed Seri devenait irréversible surtout à un moment où Mahieddine Bachetarzi, le ténor du Vieil Alger, subjuguait les plus irascibles et contribuait à faire voler en éclats les quelques réticences savamment entretenues par une société algéroise traditionaliste à souhait qui voyait d'un mauvais œil un de ses protégés s'intéresser à une muse, profondément vénérée certes, mais dont la pratique était franchement décriée, pour ne pas dire vouée aux gémonies. Ahmed Seri ne regrette rien. La musique classique algérienne a été sa passion de jeunesse et il apprend à mieux l'apprécier maintenant qu'il en connaît davantage la valeur. Etant donné sa situation actuelle, elle constitue l'une de ses préoccupations majeures et son but est d'inculquer sa passion au plus grand nombre de jeunes. Fidèle en cela à son professeur Abderrezak Fakhardji et à l'un des dignes héritiers de Mohammed Sfindja, le maître Mohamed Benteffahi, premier président d'“El Djazairia”. Pour Ahmed Seri, de tous les genres musicaux que notre pays recèle, celui de la musique d'origine arabo-andalouse est le plus élaboré tant il possède des structures et des caractéristiques qui, en dépit du temps et des aléas de l'Histoire, affirment encore l'influence d'une culture qui eut ses heures de gloire. Il se plaît à faire remarquer que la musique classique algérienne que nous pratiquons a été conçue au firmament de la civilisation à un moment où l'Europe vivait encore dans une semi-obscurité. L'Alhambra n'a jamais eu son pareil et notre musique est demeurée inégalée. Et c'est pour cette raison qu'il passe pour le défenseur le plus convaincu et le plus acharné du patrimoine musical classique traditionnel. Ce qui est singulier, surtout dans un secteur de la vie culturelle où le niveau relativement limité des uns et des autres fait que l'apport du musicien intervienne sans aucune ingéniosité, momifié qu'il est par les inévitables et énigmatiques circonlocutions. De l'avis même de ce disciple de Abderrezak Fakhardji, l'entreprise de conservation de ce patrimoine apparaît à l'évidence comme une mission sacrée car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la musique classique est aujourd'hui la plus menacée, sinon de disparition du moins d'une sérieuse et dramatique amputation. Un mal ronge notre patrimoine ancestral, et définir ce mal n'est pas encore chose aisée, concède-t-il : “L'un de ses aspects principaux réside dans le fait que chacun se retranche derrière ses propres convictions. Lorsqu'on interroge ceux qui sont concernés par le présent et le devenir de la musique, on a l'impression que chacun est animé de la meilleure volonté et ce, dans l'intérêt de l'art. Il suffit, aussi, d'évoquer l'une des raisons du mal pour heurter des susceptibilités. Et pourtant, il faudra qu'un jour on se décide résolument à engager le dialogue et à aborder le problème par tous les aspects, dussent nos susceptibilités en souffrir.” Et il sait de quoi il parle, lui qui est à chaque fois voué aux gémonies pour peu qu'il affiche sa différence et sa détermination à défendre par des écrits le patrimoine lui tenant à cœur. A. M. [email protected]