Coup de tonnerre au Palais du Luxembourg, le siège parisien de la Chambre haute du Parlement français : à l'issue du scrutin de dimanche pour renouveler la moitié des membres de l'auguste Assemblée, la gauche l'emporte et obtient une majorité absolue pour la première fois sous la Ve République, en totalisant 177 sièges contre 171 à la droite. La victoire de la gauche était prévisible avant le scrutin, mais son ampleur a surpris, car l'éventualité de voir basculer la majorité n'était évoquée que du bout des lèvres dans un camp comme dans l'autre. Aussi la gauche, particulièrement les socialistes, exultent tandis que la droite accuse le coup et tente de relativiser le revers. Si pour les socialistes leur victoire “historique” est “une claque” pour le président de la République, pour la droite il ne s'agirait que d'une “poussée de la gauche”, conséquence prévisible des victoires déjà remportées lors des élections locales, s'agissant d'un scrutin où ne sont concernées que les grands électeurs, c'est-à-dire les élus. Cela s'expliquerait aussi par les divisions au sein de l'UMP et les listes dissidentes enregistrées ici et là. En aucun cas donc, selon elle, il ne s'agit du désaveu de la politique du gouvernement ni, encore moins, du président de la République. En argumentant, les uns et les autres ont les présidentielles et les législatives de 2012 en point de mire. À sept mois du scrutin présidentiel, les socialistes considèrent que leur victoire aux sénatoriales est de bon augure, alors qu'à l'UMP on considère qu'il est erroné de tirer la moindre conclusion de ce point de vue, les scrutins étant de nature tout à fait différente. La droite devrait pourtant s'en inquiéter. D'abord son champion, le président en exercice Nicolas Sarkozy, accumule les tristes records. Jamais président briguant un second mandat sous la Ve République n'a atteint une cote de popularité aussi basse que la sienne à quelques mois seulement du rendez-vous électoral. Ensuite jamais un président n'a perdu, au cours de son mandat, toutes les élections intermédiaires, comme c'est le cas pour lui. Son camp a, en effet, perdu successivement les cantonales, les municipales et les régionales avant la défaite historique aux sénatoriales. De plus, malgré les efforts déployés par son camp pour l'en protéger, il est éclaboussé par des scandales politico-financiers impliquant de proches collaborateurs et amis, à l'image de ce qu'on appelle désormais le “Karachigate”, et de fortes suspicions pèsent sur sa propre implication. Le moins qui puisse être dit est que sa réélection à l'Elysée n'est pas gagnée d'avance et, sauf évènements susceptibles de bousculer les tendances d'ici la date du scrutin, celui-ci ne se présente pas sous les meilleurs auspices pour lui. Même si la victoire de la gauche aux sénatoriales n'a qu'une importance relative d'un point de vue institutionnel, elle est politiquement significative. En effet, les derniers mois avant des élections majeures n'ont jamais été une période propice aux grandes réformes et à un travail législatif intense. De plus, dans le système parlementaire de la Ve République, le dernier mot revient toujours à l'Assemblée nationale, de sorte que la gauche, lorsqu'elle était aux affaires, a pu gouverner normalement malgré un Sénat à majorité de droite. Par contre, il y a un effet immédiat de ce changement de majorité dans la Chambre haute : la règle d'or, que Nicolas Sarkozy comptait inscrire dans la Constitution pour y consacrer la rigueur budgétaire, déjà passablement compromise, est désormais enterrée.