RéSUMé : Krimo se rendit à l'adresse. Ferroudja habitait un vieux bâtiment. Il la surprit en frappant à sa porte. Elle le regarda un moment, sans le reconnaître. Quinze années d'aventures et de souffrances avaient durci les traits de son beau visage. Elle ne pensait jamais le revoir. Combien elle l'avait aimé… -Je te comprends… Tu t'es mariée, m'a dit Rachid… C'est vrai que tu as divorcé ? - C'est vrai, j'ai été mariée à un ami de papa durant trois longues années, précisa-t-elle, les yeux noirs brillants de larmes. Je me disputais chaque jour avec mon mari et sa mère pour être répudiée… Seulement quand j'allais à la maison, papa me frappait et me ramenait chez mon mari… J'ai dû attendre qu'il meure pour pouvoir me libérer… J'ai quitté définitivement mon foyer. J'ai pu divorcer ! - Tu as eu une fille ? - Je vois que Rachid t'a tout dit, constata Ferroudja en rougissant légèrement. Hésitant un moment, Krimo finit par lui poser la question qui lui torturait le cœur. Elle n'avait pas pu avoir passé ces quinze années à vivre au souvenir de leur amour. - Est-ce… Est-ce que tu as des amis ? - Deux, dit Ferroudja. Mais dévoués. - Je veux dire… pas l'amitié… enfin, lâcha-t-il, quelqu'un que tu aimes d'amour ? La jeune femme ne répondit pas tout de suite. Ses yeux noirs perdirent leurs étoiles, envahis par la tristesse. - Cela dépend de ce que tu entends par ce mot… Si tu veux dire quelqu'un que j'aime, exclusivement et… pour qui je donnerais ma vie… eh bien, oui… Krimo chancela et s'il ne tomba pas, ce fut parce que le mur était à peine à dix centimètres de lui. L'affirmation de Ferroudja l'avait atteint en plein cœur. Il essaya de ne pas sentir cette jalousie l'envahir dont il avait souvent ri. Maintenant qu'il la ressentait, il tenta de se raisonner, de calmer cette douleur qui empêchait son cœur de battre régulièrement. Il ferma les yeux et essaya de voir, de composer mentalement une image qui put représenter cet inconnu dont la pensée faisait à Ferroudja les yeux tendres, rêveurs. Il y avait aussi de la tristesse et du regret. Lui manquerait-il ? Krimo ne parvint pas à l'imaginer. - Tu serais gentille de ne pas penser à lui en ma présence, dit-il. J'ai un cœur moi aussi… Essaie de me ménager ! - Mon cher, répliqua-t-elle. Mettons les choses au point dès maintenant … Nous nous sommes aimés autrefois et je n'aurais pas la force de faire semblant d'avoir oublié… Lorsque nous avons été séparés, tu as préféré ne pas continuer tes études et partir en France… C'était ton droit… J'ai été mariée et humiliée durant plusieurs années parce que nous nous sommes connus et aimés sans avoir pensé une seule fois à être raisonnables… Tu es un homme et tous tes actes sont pardonnés … Ce ne fut pas mon cas ! Si j'ai échappé à la mort c'est par miracle… Mon père et mes frères me la destinaient. Ils ne m'ont jamais pardonné de les avoir vraiment déshonorés… En partant, tu mettais une croix sur moi, sur notre amour, sur toutes nos promesses… Tu ne peux pas savoir combien j'ai souffert de ton départ, de ton silence. Quand je voyais ta mère, je m'arrangeais toujours pour la voir, je demandais de tes nouvelles… La pauvre me disait que tu l'avais oubliée, que tu ne lui écrivais pas… Tu ne t'es jamais inquiété pour elle… fel ghorba, là-bas, tu étais un autre… Tu avais une autre vie, d'autres amis-amies ! Nous ne comptions plus pour toi… S'il te plaît, me faire une scène me paraît vraiment déplacé… De toute façon, tout cela remonte à quinze ans… C'est du passé… Je ne t'en voudrais pas d'avoir refait ta vie ! - Quelle générosité ! rétorqua Krimo d'un ton amer. - Je suis logique ! - C'est vrai, ça remonte à très loin… Avec le temps tout s'oublie… Toi-même, après l'échec de ton mariage, tu t'es fait un autre ami… Tu as un autre amour ! Ferroudja le regarda avec intensité et, pendant une minute, le silence pesa de tout son poids entre eux. (À suivre) A. K.