C'était vendredi matin. Un matin morne. Pensez-y : un vendredi matin de ramadhan et d'automne. À Alger. L'artère, une grande artère au demeurant, était froide et lugubre. Pas une porte ouverte, que des rideaux gris et des barreaux accordéon tirés et fixés par d'immenses cadenas. Soudain, au détour d'un virage, un groupe d'une dizaine d'individus rassemblés autour de la vitrine d'un magasin, visiblement occupés à jauger et à commenter les articles qui transparaissaient entre les grilles de la boutique close. En m'approchant, je reconnus en eux les Asiatiques qu'ils étaient. Je me dis qu'ils étaient bien mal informés ces touristes du “fermredi”, comme un ami algérois appelle ce jour de la semaine. Je me dis aussi que ces étrangers doivent nous croire en grève, tous autant que nous sommes : commerçants, clients, passants. Et que nous avions dû nous cloîtrer au nom de quelque mot d'ordre qu'ils ignorent. En tentant le shopping, ce vendredi à Alger, ils auront au moins mis un sens dans l'expression “ville fantôme”, si elle existe dans leur langue. En songeant à cette histoire de grève, je me suis rappelé que, justement, des Asiatiques, des Chinois plus exactement, qui réalisaient quelques projets de construction aux abords de la capitale, étaient en arrêt de travail. La situation en devenait cocasse : des Chinois, qui certainement faisaient grève pour la première fois de leur vie, errant dans une ville où personne ne travaille — que dis-je ? —, personne ne bouge ! Ils viennent d'un pays où le débrayage est inconcevable pour suspendre leur travail dans un autre naturellement immobile. Des ouvriers chinois à l'arrêt, c'est déjà insolite, mais s'ils croyaient quitter un chantier réduit au silence pour aller s'encanailler en ville, ils n'en auraient été que plus troublés : dans ce monde immobile parce que tout le monde est reclus chez lui et plus tard grouillant parce que personne n'est à son poste, la grève, ça ne se voit pas. Nous aussi, on est le plus souvent en débrayage ou à faire les lèche-vitrine. Et le vendredi, le matin, en période de carême, on s'enferme, ce qui nous permettra de jeûner, de nous ennuyer et de nous énerver durant la seule demi-journée de l'après-midi. Et surtout, nous, on ne fait pas grève pendant le ramadhan, amis Chinois : on applique les trente-cinq heures — c'est la Fonction publique qui le décrète chaque année — et les horaires flexibles… à l'infini. Jusqu'à ce que labeur et grève se confondent. Il paraît que d'autres Chinois doivent arriver chez nous pour les besoins d'autres chantiers. Je leur souhaite bien du plaisir, qu'ils bossent ou qu'ils boycottent. Le farniente national, qu'il soit politiquement ou religieusement légitimé, c'est pire que les rizières. Bienvenue dans la plus éprouvante “révolution culturelle”. M. H.