Résumé : À sa demande, Krimo lui raconta ses quinze années, loin d'elle et du pays. Elle était suspendue à ses lèvres, les larmes aux yeux. Son émoi le surprit. Quand il proposa une sortie, le week-end, elle refusa sans donner d'explication. Cela le mit en colère. Il réussit à se maîtriser. Il devait se contenter de ce qu'elle voulait lui donner. Un jour, elle sera à lui. Quitte à attendre quinze autres années… Krimo était prêt à tout pour passer quelques heures avec Ferroudja. La vie qu'il menait était étrange à plus d'un titre. Elle était fondée sur un sentiment qui n'avait pas de nom : ni amitié franche ni amour. Un sentiment mêlé de réticences, d'incompréhensions, de silences, de mystères et d'amour voilé. Si les autres auraient abandonné la partie, Krimo préférait cela à l'absence de Ferroudja. Il ne pouvait pas se passer d'elle. Il la voyait beaucoup plus souvent depuis qu'il avait accepté son amitié. Elle était toujours aussi charmante, enjouée et plus belle qu'autrefois… Krimo tentait d'ignorer la douleur qui lui serrait le cœur quand il se séparait d'elle. Il devait se contenter de l'emmener déjeuner, en promenade. Parfois ils se rendaient au théâtre quand la pièce était programmée en fin d'après-midi. Il pouvait tout obtenir mais en ne dépassant pas les limites qu'elle lui avait imposé. Il rêvait de passer un week-end avec elle, rien qu'un vendredi. Mais Ferroudja refusait. Elle n'était pas libre le vendredi. Il pensait qu'elle restait à la maison et y recevait cet ami qu'elle aimait d'amour. À plusieurs reprises, il alla sonner à sa porte mais elle n'était pas là. D'après un voisin avec qui il avait sympathisé, Ferroudja partait chaque jeudi soir en voiture. Où? Il l'ignorait. Elle ne rentrait que le lendemain, parfois le samedi matin. Krimo en souffrait cruellement. Pour le cacher, il tentait de plaisanter : - Tu vas retrouver si Djemâa ? Quelle sorte d'homme est donc ce mystérieux si Djemâa pour se contenter de te voir une fois par semaine ? Tous les autres jours, il est inexistant ? Tu es libre n'importe quel jour de la semaine pour me voir. Et il ne s'en inquiète pas ? Il n'est pas jaloux de moi ?... Il ne doit pas t'aimer, émit Krimo. Car moi je suis jaloux de lui… Ou peut être qu'il n'est pas au courant ! Ferroudja ne lui répondait jamais. Elle se contenait de sourire, de secouer la tête et de changer de sujet. Un jour où il l'attendait à la sortie du CEM, il remarqua un homme posté sur le trottoir à deux pas de lui. Il semblait attendre quelqu'un lui aussi. Quand Ferroudja apparut brune et rayonnante de sa beauté chaude, l'homme se dirigea vers elle. Un instant, elle sembla surprise, coupable puis reprenant contenance, elle lui sourit. Ils s'embrassèrent sur les joues. Quand elle se tourna vers Krimo, pour le lui présenter : - Rabah B….Krimo G… Ce dernier observa avec haine celui qui était son rival. Il était un peu plus âgé que lui, quarante-cinq ans, un beau visage, avec des yeux vifs, des cheveux qui commençaient à grisonner sur les tempes. Il portait une alliance en argent, à sa main gauche. Ainsi, il était marié ! Krimo comprenait maintenant pourquoi elle faisait tant de mystères. Mais cela ne l'aurait pas empêchée d'être sa deuxième. Est-ce que la femme de Rabah était au courant ? Et où allaient-ils quand ils se retrouvaient ? - Je dois passer la nuit à Alger, disait Rabah qui avait pris le bras de Ferroudja. Mon frère rentre d'Angleterre, ce soir… On peut dîner avant que j'aille le chercher à l'aéroport ! - C'est très gentil, répondit Ferroudja embarrassé. Mais je devais dîner avec Krimo ! - Dînons tous les trois ! s'exclama Rabah avec bonne humeur. Je connais un restaurant dans le quartier où l'on mange une soupe de poissons délicieuse ! - Qu'en penses-tu ? l'interrogea Ferroudja. - Comme tu voudras. Krimo avait envie de les planter là tous les deux, mais en même temps, il n'avait pas le courage de laisser sa place à cet autre qu'il avait tant de fois imaginé et envié. (À suivre) A. K.