VASTE MOUVEMENT À LA JUSTICE Bouteflika guillotine les magistrats Le chef de l'Etat a décidé d'apporter ces importants changements à quelques mois de l'élection présidentielle. Promis depuis bien longtemps par le président de la République en raison des soupçons de corruption, parfois avérés, qui pesaient sur le secteur de la justice, le changement est enfin survenu. Mais le contexte dans lequel il survient le rend suspect et ne laisse aucunement penser à la concrétisation d'un engagement qui avait largement alimenté les discours démagogiques et populistes d'Abdelaziz Bouteflika lorsqu'il s'était lancé dans la campagne électorale de 1999. De quoi s'agit-il exactement ? Un communiqué de la présidence de la République, publié hier en fin d'après-midi, annonce un “mouvement au sein du corps des magistrats”, effectué par le président Bouteflika, et ce, en application des dispositions de l'article 78 de la Constitution, de l'article 3 du statut de la magistrature et de l'article 39 du code de procédure pénale. Bouteflika qui a monopolisé, depuis son arrivée à El-Mouradia, toutes les attributions déléguées par son prédécesseur dans le cadre de la séparation des pouvoirs, a promulgué des décrets présidentiels concernant de nombreux présidents de cour et procureurs généraux, dont certains ont été limogés alors que d'autres, moins infortunés, ont été mutés. Selon le communiqué de la présidence, il a été mis fin aux fonctions de dix présidents de cour et onze procureurs généraux qui ont été remplacés, selon le texte officiel, “par des magistrats issus dans leur majorité de la Cour suprême, notamment en ce qui concerne les grandes cours”. Le Président a décidé, en outre, la mutation de huit présidents de cour et de quatorze procureurs généraux. Par ailleurs, note le communiqué, le président de la République a décidé un mouvement au sein du corps des magistrats chargés des emplois spécifiques, des présidents de tribunaux, procureurs de la République et juges d'instruction. Ce mouvement de grande ampleur a été opéré, nous dit-on, “pour assurer un meilleur fonctionnement et une plus grande efficacité des tribunaux” et s'inscrit “dans le cadre de la poursuite de la démarche de la réforme globale de la justice”. Evidemment, pour avoir assisté à l'instrumentalisation de la justice dans sa cabale contre la direction légitime du FLN, dans sa campagne contre la presse, dans la liquidation du groupe Khalifa et dans bien d'autres affaires plus ou moins avouables, les citoyens savent bien avec quelle efficacité les tribunaux vont désormais se pencher sur leurs affaires. Sans doute par souci de transparence, la liste nominative des bannis et des promus, touchés par le mouvement, n'a pas été rendue publique ! D'ailleurs, l'opération a été menée dans la plus grande discrétion. Selon de bonnes sources, les nouvelles nominations n'ont même pas emprunté les sentiers de l'enquête d'habilitation habituellement confiée aux services de renseignements. C'est dire toute la confiance que nourrit à leur égard le Président. Il y a pourtant fort à parier que les bannis comptent parmi les partisans d'Ali Benflis qui avait eu à diriger le département de la Justice sous les gouvernements de Merbah et de Hamrouche, en y apportant les premières touches de réforme sur l'indépendance des juges. Ils peuvent aussi compter parmi les proches du précédent ministre de la Justice, Mohamed Charfi, qui avait eu à servir dans le cabinet de Benflis. Ou plus simplement dans les rangs de magistrats qui n'ont de compte à rendre qu'à leur conscience. Le sort réservé au président du Syndicat national de la magistrature renseigne bien sur les objectifs du mouvement survenu à cinq mois de l'élection présidentielle. Ras El-Aïn a été dégommé pour délit de probité. C'est là tout le sens qu'il faut donner à la réforme vue sous l'ornière de Bouteflika. Cela fait bien longtemps que le rapport de la Commission de la réforme de la justice, placée sous le contrôle du professeur Mohand Issad, sommeille dans les bureaux de la présidence. Aucune de ses recommandations n'a jamais été mise en œuvre. Pis, certains amendements apportés au code pénal en 2001 en ont pris l'exact contre-pied. Issad avait eu la faiblesse de croire en la bonne foi de son mandant et consenti à mettre sa science à son service. Cruelle désillusion ! Le mouvement qui a touché au corps des magistrats est-il le prélude à d'autres changements ? C'est sûr, et les commis de l'Etat sont nombreux à sentir pendre au-dessus d'eux l'épée d'El-Hadjadj qui n'a pas été lâchée sur les terroristes. N. B. Le communiqué de la présidence La présidence de la République a rendu public le communiqué suivant : “Dans le cadre de la démarche de réforme globale de la justice, le président de la République, M. Abdelaziz Bouteflika, a procédé à un mouvement au sein du corps des magistrats, conformément aux dispositions de l'article 78 de la Constitution, de l'article 3 du statut de la magistrature et de l'article 39 du code de procédure pénale. Dans ce cadre, le président de la République a pris des décrets présidentiels portant nomination et fin de fonction de présidents et procureurs généraux de cour. Ainsi, il a été mis fin aux fonctions de dix présidents de cour et onze procureurs généraux qui ont été remplacés par des magistrats issus, dans leur majorité, de la Cour suprême, notamment en ce qui concerne les grandes cours. Le président de la République a, également, décidé la mutation à d'autres cours de huit présidents de cour et de quatorze procureurs généraux. Par ailleurs, et pour assurer un meilleur fonctionnement et une plus grande efficacité des tribunaux, le président de la République a décidé un mouvement au sein du corps des magistrats chargés des emplois spécifiques de présidents de tribunaux, procureurs de la République et juges d'instruction.” APS Crise au sein du syndicat des magistrats Le SNM à Constantine dénonce l'éviction de Ras El-Aïn qui “aurait été planifiée” L'éviction de Ras El-Aïn de la tête du SNM, jeudi dernier, à l'issue d'une session extraordinaire du conseil national a fait sortir certains magistrats, à Constantine, de leur réserve pour faire des révélations sur cette affaire. Selon une source syndicale, l'actuel président, Djamel Aïdouni, en compagnie de quelques-uns de ses proches “auraient pris attache avec certains délégués syndicaux de Constantine”, la veille de l'assemblée générale du 9 octobre dernier, pour “monnayer leur ralliement à la stratégie d'éviction de Ras El-Aïn”. En échange, la section syndicale “bénéficierait d'un siège au sein du bureau national”. Ces tractations qui, selon la même source, se seraient faites en présence de témoins, attestent, s'il en est, de la stratégie déjà mise en branle pour déposer Ras El-Aïn, laisse-t-on entendre. Les griefs reprochés à l'ex-président ne seraient donc qu'un prétexte pour le destituer du poste de premier responsable du syndicat. Sur la nature des motivations d'une telle démarche, politiciennes s'entend, la source ne s'exprimera pas. De ce fait, ne se reconnaissant pas dans la nouvelle présidence, les magistrats de Constantine, dans un communiqué rendu public, se sont clairement positionnés en qualifiant le retrait de confiance à l'ex-président et la désignation d'un autre “d'illégitime et d'une violation flagrante des décisions de l'assemblée générale souveraine, seule instance habilitée à procéder à l'élection du président ou à sa destitution”. Ces syndicalistes qui n'ont pas pris part à la session extraordinaire en question affichent, sans ambiguïté, leur désaccord avec ce qui s'est passé le 30 octobre dernier… “Une transgression des cadres juridiques et structurels dont les instigateurs assumeront seuls les conséquences et les dérives qui pourront y survenir”. La section SNM de Constantine, qui ne se reconnaît que dans les décisions émanant de la quatrième assemblée générale du 9 octobre, appelle le corps des magistrats à resserrer les rangs, à faire preuve de vigilance et surtout à ne pas succomber “aux manœuvres suspectes qui visent l'éclatement du syndicat et son éloignement de sa mission de base, celle de l'indépendance de la justice, son impartialité et la consécration des libertés individuelles et collectives dans un Etat de droit”. De quelles manœuvres serait-il question ? Ni les magistrats ni leur représentation n'apporteront, à ce propos, le moindre éclaircissement. N. D.