Un héritage, un patrimoine et legs culturel et social plurimillénaire que partagent les habitants de l'Afrique du nord et du pourtour méditerranéen (Maroc, Tunisie, Libye et même l'Egypte et les îles Canaris). Si d'une région à une autre aussi bien berbérophone que non, le nom et l'appellation changent (Anzar, Boughenja, Thaslith n'Ounazar, Thaslith n'Ouamen…), la genèse et le principe du rituel restent les mêmes. Pour obtenir de la pluie, il faut solliciter Anzar et tout faire pour provoquer son action fécondante. Tout naturellement, depuis les temps anciens, les Berbères avaient pensé que la plus efficace des sollicitations était d'offrir une fiancée au dieu de la pluie Anzar, d'où l'appellation en berbère, la fiancée d'Anzar (Thaslith n'Ouanzar). À ce sujet, le préhistorien et spécialiste de l'histoire des Berbères, Gabriel Camps, nous fournit moult informations d'une importance capitale, sur cette pratique ancestrale. Dans le volume VI de l'Encyclopédie berbère, il écrit : “Certains lieux, comme à Tabelbala (Saoura sud-ouest de l'Algérie), est un véritable vêtement qui est taillé et cousu autour de l'assemblage de bois, des parures diverses, colliers et bracelets confortant l'idée qu'il s'agit bien d'une cérémonie nuptiale. Le nom le plus répandue donnée à cette poupée est celui de "ghanja" sous différentes formes (taghonja, tarenza...) par allusion à la cuillère symbole et réceptacle lié à l'alimentation et donc doublement efficace. Plus simplement la poupée est appelée "tislit n'unzâr" (fiancée d'Anzar) ou "tislit n'waman" (la fiancée de l'eau). Dans le Rif (au Maroc), on utilisait de préférence à la cuiller, la pelle à vanner pour servir d'armature à la poupée : en cela aussi le symbole bénéfique est évident : la pelle est aussi un réceptacle, elle est en outre sacralisée par sa fonction liée à la récolte.” Aussi bien la description que l'origine du rite prouvent qu'il y a recours à cette pratique, en cas de sécheresse. Les habitants des villages imploraient le dieu de la pluie Anzar au nom de la terre mère desséchée et concèdent à lui offrir symboliquement une belle fiancée. Le rite se déroule dans une atmosphère festive, un même air et couplet revient, bien connu en Kabylie “(Anzar, Anzar/ arebbi atsew ar azar / atserwo naama b'zrar/ atsernou thin ouzaghar” (Anzar, Anzar/Dieu arrosez-la jusqu'aux racines pour que les champs des montagnes et ceux des plaines soient rassasiés) (1). Bien que la grande partie de la population du village y participe, le rite en lui même est organisé par les femmes. Elles préparaient un repas avec les produits ramassés durant la tournée dans le village. La fiancée d'Anzar est portée par une femme qui, parfois, se contente de brandir une simple louche lors de la procession (Tunis, Jerba, M'zab...). Cependant, la louche (aghenja) peut être habillée dans certaines circonstances aux couleurs de l'arc en ciel (Anzar). Un festin est organisé à la fin de la procession, où toute la population prend part. Cette tradition attestée au Rif, en Kabylie, dans l'Atlas et dans les Aurès n'a cependant bénéficié d'aucune étude approfondie, ou recherche, comme cela se fait, à travers le monde, quand il s'agit de la prise en charge d'un patrimoine aussi important, considéré pourtant par les spécialistes (Gabriel Camps) comme étant une mythologie berbère à part entière. Un mythe bien de chez nous ! Au début de l'an 2000, l'auteur compositeur et spécialiste en musique chaouie, Salim Souhali, avait réalisé une belle prouesse para-théâtrale, en montant sur scène Thaslith n'Ouanzar (la mariée du dieu de la pluie Anzar). En plus d'avoir connu un franc succès parmi les amateurs du quatrième art, l'œuvre a le mérite d'être pionnière. Poursuivant ses recherches et études, M. Souhali nous déclare : “ça peut paraître une simple histoire ou rite, mais c'est très profond aussi bien philosophique, mythique et il y a aussi un côté moral. Quelque part dans un village perdu, une belle jeune fille refuse les avances du dieu de la pluie (Anzar). En colère, Anzar assèche les sources d'eau, commence alors une course. Les sages du voilage exigent de la fille d'accepter et de se sacrifier pour les habitants du hameau. Elle s'exécute. Là, nous avons déjà l'intérêt général avant l'individu, la parole des sages passe avant les sentiments. Et un mythe, car nous avons longtemps cru, qu'il n'y que la mythologie des autres. Un chant millénaire chaoui que j'ai trouvé et enregistré dit : “Anzar, Anzar/ aberbache lelouane /, almegheren yengha oudhen/Anzar Anzar sers amen/ ighzran mlen/ ayanzar arnid amen”(Anzar, Anzar/ toi qui est coloré/ la sécheresse tue les gens/ fait descendre ta pluie /l'oued est devenu plein grâce à toi/donne nous encre de ton eau). La générosité et le sacrifice de l'individu pour la réussite et le salut du groupe. Une autre pratique vient à l'esprit : la touisa, où c'est plutôt le groupe qui manifeste son soutien et son apport à l'individu (les plus démunis et les plus pauvres de la communauté). D'autres pratiques qui ont et pendant longtemps constitué un ciment social entre les individus du même groupe, car elles font appel au rapprochement des individus du partage de la solidarité d'une manière sous adjacente mais efficace, à l'exemple de la fête Ayred à Béni Snous (Tlemcen) connu sous le nom de Chaïb Achoura dans les Adures et dans d'autres régions du pays. RACHID HAMATOU (1) Traduction de Samia Seghir