Au Maroc, la campagne pour les élections législatives du 25 novembre est entrée dans le vif du sujet. Pour le roi, ce sont des élections anticipées pour répondre à la grogne de la rue des derniers mois. Depuis le début du printemps arabe, de jeunes Marocains réclament de nouveaux responsables politiques, moins corrompus. Le “printemps du Maroc” a inscrit dans ses revendications la transformation du pouvoir royal en monarchie constitutionnelle. Le référendum du 1er juillet organisé à la mode Makhzen en a décidé autrement : le roi garde l'essentiel tandis que les affaires courantes seront transférées au chef du gouvernement, chef de la majorité au Parlement. C'est pourquoi Mohammed VI veille à ce qu'il trouve son compte dans ces élections. La Koutla, coalition de grands partis traditionnels et fondement du Makhzen, n'en pensent pas moins, jugeant le danger islamiste toujours prioritaire. Les islamistes ont à l'esprit le raz de marée d'Ennahda en Tunisie. Ils espèrent éditer le même coup au Maroc. Quant aux acteurs du Printemps marocain, ils fondent leurs espoirs sur l'abstention, n'étant pas d'accord, du tout, avec le processus d'ouverture enclenché en été par Mohammed VI et qu'ils ont dénoncé comme une nouvelle manœuvre dilatoire. “Le taux de participation : la grande angoisse”, titrait, le jour de l'ouverture de la campagne électorale, l'un des grands quotidiens marocains. Cette fois, comme pour le scrutin de la révision constitutionnelle de juillet, les contestataires du 20 Février ont également appelé au boycott, les règles du scrutin ne permettant pas, selon eux, un véritable renouvellement de la classe politique. Savoir si les Marocains vont s'intéresser ou non à ce scrutin est bien l'un des enjeux-clés de ces législatives. En 2007, le taux de participation avait été de 37% seulement, et pourtant ce furent des élections pluralistes. Comme dans les autres pays arabes, les électeurs boudent les urnes, partant du principe que le pouvoir est corrompu. Pour le roi, la participation sera en tout cas un baromètre de l'efficacité de ses nouvelles mesures institutionnelles. C'est d'autant plus important pour son trône qu'il a été qualifié par les Occidentaux, de Washington à Paris, d'exemple à suivre pour les pays arabes qui ne souhaitent pas voir le Printemps se transformer chez eux en fournaise, comme en Syrie et au Yémen. Pour ces législatives, trois grandes formations se distinguent. D'abord, une coalition très hétéroclite de huit partis surnommés le G8 et emmenés par l'actuel ministre des Finances. Proche du Palais royal, regroupée autour du Rassemblement national des indépendants, la coalition fait campagne contre les islamistes, jurant de leur barrer la route du pouvoir. Ensuite, la Koutla, la coalition au pouvoir depuis 1996, composée des socialistes de l'USFP et du parti nationaliste historique de l'Istiqlal. Coalition de circonstance et de fait, la Koutla est également proche du Palais. Enfin vient le Parti de la justice et du développement. La formation islamiste qui n'a jamais gouverné apparaît comme le grand favori du scrutin, avec ses thèmes de lutte contre la corruption. Et puis, elle va certainement bénéficier de la montée en puissance de l'islamisme dit modéré en Tunisie et en égypte, où les Frères musulmans se sont assuré des tickets avec la complaisance de l'armée, qui a pris le pouvoir après l'éviction de Moubarak mais qui refuse de faire jonction avec les ailes modernistes et/ou démocratiques qui ont fait le “printemps du Caire”. Et au Maroc de se trouver dans une configuration dans laquelle le PJD se retrouve seul à ne pas traîner de casseroles. En outre, par-dessus tout, le PJD, lui, compte sur un électorat discipliné qui sera certainement renforcé par les voix des sympathisants, salafistes modérés. C'est ce qui est arrivé en Tunisie où Ennahda a raflé la mise face à des rivaux tellement divisés qu'ils n'avaient pas vu venir ce “péril vert” qu'ils ont vertement dénoncé après le scrutin. Comme à Tunis, libéraux, démocrates et monarchistes ont travaillé chacun pour soi, au point où l'Istiqlal, naguère vraie machine électorale, est resté aphone. D. Bouatta