Les gestes des généraux ne sont pas faits pour apaiser la colère des manifestants qui occupent depuis maintenant une semaine la place Tahrir. Les contestataires, qui ont repris ces derniers jours la place Tahrir, épicentre du printemps égyptien, avaient battu le rappel pour un “vendredi de la dernière chance”. Avec le renfort de syndicats, ils espéraient une mobilisation massive pour obtenir le départ immédiat des militaires. Les généraux du Conseil suprême des forces armées (CSFA), après avoir négocié avec les émeutiers le retour de l'accalmie au Caire et dans les autres villes qui ont rallumé la flamme révolutionnaire, ont chargé un ex-Premier ministre de l'ancien régime, Kamal Ganzouri, de former un gouvernement de “salut national” ! Le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, président du CSFA, ne part pas et plus encore désigne un septuagénaire, proche comme lui par ailleurs de l'ancien “Pharaon” de l'Egypte. Et le CSFA a promis que les élections législatives, qui doivent se dérouler en trois phases, débuteraient demain lundi comme prévu. Seule concession, la promesse d'accélérer le transfert du pouvoir aux civils en annonçant que l'élection présidentielle, qui parachèvera la transition, aura lieu en juin, six mois plus tôt que dans le calendrier initialement prévu. Les gestes des généraux ne sont pas faits pour apaiser la colère des manifestants qui occupent depuis une semaine la place Tahrir. Kamal Ganzouri, bien que considéré comme un homme politique intègre, ses responsabilités sous le règne de l'ex-“raïs” ne vont pas faire cesser les appels à une rupture totale avec l'ancien régime. Et son âge ne plaide pas non plus en sa faveur : “Pas de grand-père”, ont entonné les manifestants de la place mythique cairote. Alors que toute l'Egypte devait répondre à l'appel du “vendredi de la dernière chance”, les Frères musulmans avaient décidé de se la jouer seuls, accréditant de nouveau la thèse selon laquelle leurs dirigeants ont signé un deal avec l'armée, prête à leur céder une partie du pouvoir contre la sauvegarde des généraux dont il faut savoir qu'ils gèrent par le biais de l'institution militaire proprement dite 40% de l'économie du pays ! La Fédération des syndicats indépendants avait invité les travailleurs à marcher sur Tahrir. Une autre organisation syndicale a lancé un mot d'ordre de grève générale en signe de solidarité avec les manifestants. L'hiver dernier, les syndicats avaient joué un rôle important dans le mouvement populaire qui est venu à bout du régime d'Hosni Moubarak. Paradoxalement, les Frères musulmans se sont tenus à l'écart de toutes les manifestations. Ses responsables jurent éviter d'ajouter à la tension ! Ils sont restés insensibles à la cinquantaine de morts et aux 2 000 blessés, alors que dans une prise de position d'une fermeté inédite, le grand imam d'Al-Azhar, plus haute institution de l'islam sunnite, qui siège au Caire, a appelé la police à ne pas tirer sur les manifestants et l'armée à éviter les affrontements au sein d'un même peuple. Le rôle d'apaisement des Frères musulmans qui se sont démarqués des manifestants vise à ménager l'armée avant les législatives. Un rendez-vous électoral dont ils comptent bien sortir vainqueurs et qu'ils ne voudraient pas voir reporter étant persuadés de bénéficier des syndromes tunisien et marocain où le PJD, les frères musulmans marocains étaient donnés gagnants dans le scrutin de vendredi dernier. Les Frères musulmans, considérés comme la force politique la mieux organisée en Egypte, ont tout capitalisé sur les législatives de demain lundi. Après la chute de Hosni Moubarak, chute à laquelle elle n'a pas participé, la confrérie islamiste a formé un parti politique légal, le Parti de la liberté et de la justice (PLJ), pour pouvoir participer ouvertement aux élections, alors que sous l'ancien régime, elle présentait des candidats sous l'étiquette d'indépendants. Elle s'est surtout efforcée de lisser son image auprès de la hiérarchie militaire, dans la perspective d'une arrivée au pouvoir. D. Bouatta