Ce n'est pas parce qu'il est discret qu'on pourrait rouler des mécaniques devant lui. Il pourrait faire la leçon à la majorité des écrivains en matière de style et de syntaxe. Mais comme il a l'élégance de l'esprit dont parle St Simon, cette élégance qui fait toute la différence entre un gentilhomme et un arriviste, il le fera d'une façon si spirituelle que le mouché ne retiendra que le compliment. Il est ainsi Mouloud, un homme de grande culture, un homme d'autrefois qui me rappelle un autre Mouloud, Feraoun, qui était incapable de tuer une mouche importune. Notre Mouloud n'a pas cette magnanimité. Une mouche le cherche ? Elle le trouve. Un importun le cherche ? Il ne le trouvera pas. Non par crainte. Mais par philosophie. Le lâcher prise qu'il pratique en orfèvre. Oui, si on a un minimum de sagesse, à quoi bon répondre à un égaré, un écervelé, ou un manant, ou les trois à la fois dans le même homme qu'il nous est arrivé souvent de croiser à nos dépens. Mouloud a passé son enfance en gambadant dans les hautes montagnes de Kabylie, là où l'air est pur, là où on tutoie les aigles, là où la nature nous pousse vers Horace et les romantiques, surtout Lamartine qui l'a fait pleurer tant de fois. Celui qui n'a pas versé des larmes à la lecture de Milly ou la terre natale et Le lac n'a pas de cœur. Ces deux poèmes arracheraient des larmes à un bourreau. à trop se frotter à un grand poète, et pour peu qu'on aime taquiner la muse, on en devient un. Un tout petit poète selon Mouloud qui dit avoir arrêté très vite les dégâts. Ne le croyez surtout pas : il a un humour très, comment dire, très british. Quoi qu'il en soit, il a très vite compris qu'il n'égalera jamais son maître, alors il se tourne vers l'écriture romanesque, là où aucun géant ne le tétanise. Si Victor Hugo jeune s'était écrié : “Je veux être Chateaubriand ou rien !”, Mouloud n'avait aucun maître dans ce domaine. Que des modèles qui ne le figent pas d'admiration mais le stimule. L'écrivain en lui ne s'est pas réveillé brutalement. L'écriture a été une longue maturation. Et pourquoi donc ? Simple : il a l'exigence flaubertienne. Il écrit un mot, il le biffe, un autre et il le rature. Et quand il croit avoir trouvé le mot juste, il doute. Il pèse et soupèse ce mot qui le hante, l'examine comme un douanier examinerait votre marchandise, c'est-à-dire avec le regard distancié que n'a pas eu Verlaine sur Rimbaud, source de tant de déboires, et puis l'adopte ou le rejette. Ainsi écrit-il avec cet amour de la langue française qui l'a poussé à choisir très tôt son enseignement. Un autre point commun avec Feraoun… C'est dans la revue Promesse, creuset de tant de talents, dirigée alors par son excellence Malek Haddad, qu'il publiera sa première nouvelle. Son titre : Fumée. Mouloud qui adore les calembours et les jeux de mots a dû se dire que Malek Haddad voulait lui signifier, en choisissant cette nouvelle parmi tant d'autres, qu'il n'y avait pas de fumée sans le feu de son talent… hum... hum… En1971, il a le bonheur de voir son recueil de nouvelles Le Survivant édité par la Sned. Ce fut un moment de grande émotion. Il marchait enfin sur les traces de ses modèles. S'ensuivra une œuvre riche et dense qui aura comme caractéristique principale la beauté de l'écriture, une écriture classique qu'on devrait enseigner dans les établissements scolaires. Mouloud a connu de hautes responsabilités, dont l'une gratifiante parce que son ministre s'appelait Aboubaker Belkaïd, il a été directeur de rédaction dans deux journaux, et bien d'autres charges qui flattent l'ego, il n'en demeure pas moins que la fumée de l'encens ne lui a pas fait tourner la tête. Il est resté avec sa pureté d'enfant de la montagne qui a appris que la grandeur n'est point du côté de l'être humain, mais de la nature. Cette nature qui l'émerveille chaque matin. Il contemple le lever du soleil béat d'admiration, fidèle en cela aux philosophes de l'antiquité qui recommandent d'avoir à chaque instant un regard neuf et émerveillé sur la nature. Avec un tempérament pareil, on ne peut regarder que vers le haut, loin vers le haut. à hauteur du cœur de chacun… H. G. [email protected]