La vague verte qui a déferlé sur la Tunisie, l'Egypte et quelque peu le Maroc, si elle encourage déjà les islamistes algériens, suscite quelques appréhensions chez les démocrates algériens qui craignent, au regard de l'orientation politique du régime, un remake de l'expérience du début de la décennie 1990, la violence en moins. Face au spectre de l'islamisme, mais aussi aux inconnues qui pèsent sur le devenir national, les démocrates algériens tentent d'en saisir les enjeux. Conséquences des “révolutions arabes” sur l'Algérie, le “péril vert”, les réformes initiées par Bouteflika, la place de la femme à la lumière des nouvelles dispositions, la nature du régime, le rôle de la “grande muette”, l'organisation de la transition, la laïcité sont autant de thèmes que plusieurs acteurs politiques dont l'ancien diplomate et ancien ministre, Abdelaziz Rahabi, le bâtonnier Me Miloud Brahimi, les députés Tarik Mira et Ali Brahimi ainsi que Mme Benabbou Fatiha ont tenté de décortiquer, hier, au cours d'une demi-journée d'étude organisée à Alger par le Mouvement des droits et des libertés (MDL), un mouvement d'opinion lancé en janvier dernier. Premier à ouvrir les “hostilités”, le député Ali Brahimi, autour du thème : réformes, entre octroi et contrôle. Selon ce député, les réformes promises par Bouteflika, dont le retour aux affaires participe d'un processus de normalisation couronné par la restauration de l'autoritarisme au cours du troisième mandat, n'obéissent pas à une nécessité. “S'il y avait une volonté chez Bouteflika, il aurait pu légiférer par ordonnance ou dissoudre l'APN”, a-t-il dit. Pour lui, il y aura “une purification idéologique des associations” dans les prochaines années, alors que la loi sur les partis consacre “la force” au détriment du “politique”. “Nous n'avons aucune garantie que ce pouvoir va respecter ces lois”, a-t-il dit. Dans une remarquable intervention, l'enseignante Fatiha Benhabbou a démontré l'inapplicabilité dans plusieurs cas de la loi portant représentation de la femme dans les assemblées élues. “La loi est illisible et inintelligible. Elle risque de n'être pas concrétisable”, a-t-elle assuré. Pour sa part, le bâtonnier Miloud Brahimi n'a pas caché ses appréhensions sur une éventuelle arrivée des islamistes au pouvoir. Partisan d'un modèle à la “turque”, Me Brahimi a défendu l'idée d'une démocratie en tant “qu'éthique” et pas “seulement comme mécanique” qui donne le pouvoir à la majorité. “Si on ne trouve pas de mécanismes pour faire barrage aux islamistes, il y a lieu de s'interroger sur les lois qui en découleront une fois qu'ils arriveront au pouvoir”, a-t-il mis en garde. Intervenant sur le thème “L'impact des évolutions régionales et internationales sur la scène algérienne”, Abdelaziz Rahabi a convoqué l'histoire pour expliquer la situation actuelle dans le monde arabe. Selon lui, “les rapports à l'intérieur des sociétés ont changé”. “C'est une société qui ne programme pas son destin. Elle le subit. Mais il y a une demande pour la démocratie et la liberté”, a-t-il analysé. Pour l'ex-diplomate, les Américains encouragent l'émergence de “l'islamisme modéré” car il est perçu comme une “antidote” à l'intégrisme. À ceux qui pensent que le modèle turc est transposable en Algérie, il rappelle que le parti islamiste turc l'AKP “sédimente sur quelque chose qui existe déjà”, alors que “chez nous, on déconstruit pour construire”. Quelles conséquences sur l'Algérie ? M. Rahabi observe que le régime redoute la contagion. Signe de cette crainte : “perception différente chez les dirigeants dans la définition de ce qui se passe dans les pays arabes.” “Pour la première fois, il n'y a pas consensus sur la politique étrangère”, a-t-il relevé. Mais le grand raté de l'Algérie, à ses yeux, reste l'absence de l'audiovisuel. “On consomme l'information internationale.” Il est convaincu cependant qu'“il y a dans le monde une convergence globale sur les libertés”. “Nous ne sommes pas des acteurs de l'histoire, ni des producteurs d'idées dans l'actuelle situation du pays. Mais nous ne pouvons pas être en dehors de cette convergence.” À la question sur l'existence d'un modèle de transition pour le changement démocratique, le député Tarik Mira a estimé, pour sa part, que “l'ouverture en Algérie après 1989 a été une véritable transition, laquelle est inaccomplie”. Citant de nombreux pays où cette transition a été réussie, le député a affirmé pour le cas algérien “qu'elle est à réinventer”. “Nous n'avons pas fini d'éteindre la nuit”, a-t-il dit. Et à ceux qui réclament la Constituante, il soutient qu'il y a des exemples de pays dans le monde où on est passé à la démocratie sans “passer par la Constituante”. Une Constituante que certains parmi les présents ont jugée susceptible de se révéler “dangereuse”. Karim Kebir