Abdelaziz Djerad, membre du BP du FLN chargé du conseil d'évaluation et de prospective, à Liberté “Les commis de l'Etat ne doivent pas déshonorer leur fonction” Professeur, ancien secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Abdelaziz Djerrad revient dans cet entretien sur la notion de “bonne gouvernance” appliquée par son parti. Liberté : M. Djerad, vous êtes installé depuis plusieurs semaines à la tête d'un conseil d'évaluation et de prospective mis en place par le secrétaire général du FLN, Ali Benflis, candidat à la prochaine élection présidentielle. Quelle est, en fait, la mission de cette structure? Abdelaziz Djerad : Le conseil d'évaluation et de prospective est un instrument d'analyse et de réflexion sur tous les sujets qui touchent à la vie sociale, économique, politique et culturelle dans notre pays. Les relations internationales sont également une dimension prise en charge dans cette réflexion. L'annonce de la création de ce conseil a été faite par le secrétaire général du parti lors des assises de l'université d'été. Cette structure que j'ai l'honneur d'animer a pour principale mission l'élaboration de notes et de rapports d'analyse qui permettront au secrétaire général et à la direction politique d'opter pour telle ou telle décision sur la base d'un processus décisionnel basé sur des paramètres rigoureux et objectifs. Le conseil d'évaluation et de prospective a pour seconde mission la constitution d'une banque de données en matière d'informations sur tous les domaines qui intéressent l'action de notre parti. Le conseil est également un espace ouvert à toutes les compétences au sein du parti, ainsi qu'aux intellectuels, universitaires, chercheurs, experts et cadres qui souhaiteraient apporter leur contribution et leur savoir-faire au service de notre pays. Tout porte à croire que le conseil que vous présidez s'inscrit dans la durée, au-delà de la prochaine échéance électorale. Ses missions vont-elles finir par sortir du cadre partisan, d'autant plus que le secrétaire général du FLN a, dans l'un de récents discours, regretté le fait que le pays ne dispose pas d'instituts d'études ? À l'instar des partis politiques modernes de par le monde, le parti du FLN se dote, aujourd'hui, d'un instrument scientifique de haut niveau qui s'inscrit dans la durée. Quand le secrétaire général de notre parti parle de modernisation, c'est aussi de cela qu'il s'agit. La complexité des problèmes au niveau national et international exige de tous une rigueur intellectuelle, seule capable d'apporter les véritables solutions aux enjeux actuels et à venir. Depuis plusieurs années, on ne cesse de parler d'un concept qui semble en vogue : “La bonne gouvernance”. Le FLN, en tant que parti de la majorité et qui n'a quitté le gouvernement que récemment, en a fait l'expérience. Quelle définition lui donnez-vous et comment, selon vous, rendre la bonne gouvernance réelle et pratique ? Le concept de bonne gouvernance a évolué depuis qu'il est apparu à la fin des années 1980. Il s'agissait, dans un premier temps, pour les institutions financières internationales, “d'une approche de gestion des ressources économiques et sociales d'un pays en voie de développement”. La bonne gouvernance signifiait une “gestion économique saine”. En 1995, dans un rapport annuel, l'OCDE a proposé une définition plus globale, “la gouvernance est la somme des multiples modes de gestion des affaires communes par les individus et les institutions, publiques et privées”. Depuis les années 1990, la remise en cause du rôle de l'Etat dans la sphère économique et la prédominance du concept d'économie de marché comme moteur de développement ont donné un nouveau contenu au concept de bonne gouvernance ; il s'agit, comme l'indiquait le rapport sur le développement dans le monde de 1997, d'une nouvelle approche des fonctions essentielles de l'Etat dans une économie de marché sociale. “La bonne gouvernance, c'est la capacité de corriger les imperfections du marché et de contribuer à une plus grande équité”. Comment est-il possible de rendre pratique cette bonne gouvernance ? Il est nécessaire de partir d'un principe essentiel qui consiste à clarifier la manière dont sont gérées les richesses économiques et sociales du pays. Cette gestion ou “gouvernance” doit se faire d'une façon “efficace, honnête, équitable, transparente et responsable”. Ceci nous amène à des politiques rationnelles dans le domaine des ressources humaines de la Fonction publique, à des révisions des modèles organisationnels et institutionnels, à l'avènement d'un système judiciaire réellement indépendant et équitable, à la mise en place d'un système efficace de lutte contre la corruption, à un rôle de plus en plus important du pouvoir législatif. La bonne gouvernance ne peut donc être réelle que dans un environnement démocratique où le rôle de la société civile est indispensable, où les institutions sont stables et efficaces. Où il n'y a pas d'interférences entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Aujourd'hui, dans notre pays, “bien gouverner” veut dire avoir la capacité, la volonté et l'intelligence de choisir les meilleures compétences à tous les niveaux de responsabilité de l'Etat et de savoir surtout les mettre au service de la collectivité nationale et du bien-être du citoyen algérien. Cet acte de “limogeage”, comme vous le dites, est l'illustration même de la mauvaise gouvernance qui règne, aujourd'hui, au sein de certaines institutions. Vous avez été limogé de votre poste de secrétaire général du ministère des Affaires étrangères. Quels sont les motifs réels qu'on vous a notifiés ? La situation actuelle des cadres et des agents de l'Etat m'a permis de tirer certaines conclusions. Il est, aujourd'hui, absolument nécessaire que les serviteurs de l'Etat soient mis à l'abri des abus du pouvoir politique et de la désinformation par le biais de mécanismes de protection. C'est la seule condition pour que l'administration algérienne échappe aux pressions multiples qui s'exercent sur elle et ce, afin qu'elle soit préservée des influences occultes. Car, la démocratie et le multipartisme exigent une neutralité effective et réelle de l'administration d'une manière générale et du commis de l'Etat en particulier. S. R.