Cette étude, qui vient après la publication du dernier rapport de Transparency International, révèle un autre versant du phénomène de corruption, à savoir la peur des citoyens de dénoncer. Et si les professions de foi des autorités sur la lutte contre la corruption n'étaient qu'un prêche dans le désert de Gobi ? Dire aujourd'hui que les citoyens sont disposés à s'impliquer dans la lutte contre un fléau qui gangrène les institutions et des pans entiers de la sphère politico-économico-sociale relève de la gageure. Selon une étude rendue publique hier par la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (Laddh), l'écrasante majorité des personnes sondées craint de dénoncer des affaires de corruption dans lesquelles sont trompés de hauts fonctionnaires de l'Etat. À une question de savoir s'ils se sentent protégés contre des menaces ou d'éventuelles représailles s'ils sont appelés à témoigner contre des personnes influentes dans une affaire qui touche l'économie nationale, 88% des personnes interrogées sur un échantillon de 1 600 se disent “ne pas se sentir protégés”. 10% seulement se disent protégés. En décodé : les Algériens ne font pas confiance à l'appareil judiciaire. Signe de cette crise de confiance : 51,8% invoquent la crainte “d'être impliqués pendant l'instruction” parmi les freins qui empêchent de révéler des faits de corruption, 43,9% avancent l'absence de documents à présenter pour prouver les faits, tandis que 17%, tare sans doute d'une culture ambiante mais aussi de l'inculture civique, évoquent la “gêne d'être traités de délateurs”. Autre indice : près de la moitié des personnes interrogées, soit 46,1%, préfèrent s'adresser à l'opinion publique (presse, associations, société civile…) lorsqu'elles sont en possession d'une information sur une affaire de corruption ou de dilapidation de deniers publics, qu'à l'autorité judiciaire (procureur de la République, police, gendarmerie…) (36,8%), ou à l'autorité administrative (ministère de tutelle, hiérarchie, P-DG…). Selon l'étude, l'appareil judiciaire ne s'ébranle que grâce aux articles de presse (31,4%), aux lettres anonymes (30,9%), aux dépôts de plainte (30%) et, enfin, la dénonciation, à seulement 29,1%. Cependant, les personnes interrogées ne sont pas satisfaites du travail de la presse puisqu'elles sont 56,1% à “n'être pas satisfaites” de la couverture médiatique des affaires de corruption. 5,7 personnes seulement semblent satisfaites. Considérée comme un “crime” pour 82% des sondés, la corruption n'est pas suffisamment sanctionnée à leurs yeux puisque 85% considèrent que les peines prononcées dans les affaires de corruption sont “légères”. Si la crise de confiance reste le facteur majeur qui dissuade les éventuels dénonciateurs, nombre de personnes (78%) ignorent les dispositions de la loi 06/01 relative à la lutte contre la corruption alors qu'un cinquième seulement (21%) se disent informés. Face à ce constat accablant, la Laddh, par la voix de son secrétaire général, Moumène Khellil, estime qu'“il faut travailler pour renforcer le dispositif législatif qui protège les dénonciateurs de la corruption”. “On doit être aux côtés des dénonciateurs”, a-t-il dit lors de la présentation de cette étude. “Sans l'implication des citoyens, tous les efforts sont voués à l'échec”, estime, pour sa part, Mustapha Atoui, coordonnateur de la cellule chargée de l'enquête. Négligence des citoyens, faiblesse de la justice, des institutions, inertie du parquet, absence de sanctions sont autant de facteurs qui confortent la corruption, selon lui. Menée depuis plusieurs semaines, cette enquête est basée sur un échantillon de 1 600 personnes à travers 24 wilayas du pays, dont 62% d'hommes, la plupart âgés entre 18 et 40 ans (56,4%) parmi lesquels 51% sont des fonctionnaires. L'étude est publiée quelques jours après la publication par Transparency International du classement mondial des pays corrompus et dans lequel l'Algérie figure à la peu enviable 112e position. Jeudi, le président Abdelaziz Bouteflika a signé un décret sur la composition, l'organisation et le fonctionnement de l'Office central de répression de la corruption (OCRC), censé lutter efficacement contre ce fléau. “Cette étude vise à mettre sur pied une stratégie et fixer les priorités dans notre programme futur”, a expliqué Atoui. “Le but étant de créer le débat dans la société”, a-t-il conclu. Karim Kebir