De quoi sera faite cette nouvelle année 2012 qui pointe à l'horizon ? Faudra t-il, dans un environnement régional qui craque de toutes parts, espérer quelques changements ? Et surtout, est-il raisonnable d'en attendre, au plan économique, autre chose que cette médiocrité agissante qui imprègne tous les projets publics et ce sentiment de l'échec mille fois recommencé, auxquels nous autres Algériens sommes gentiment mais fermement invités à nous résigner ? Il serait hasardeux de s'avancer. Pour l'heure, contentons-nous donc de noyer l'année qui s'achève et tâchons de lire, derrière la morosité ambiante, ce qu'elle pourrait bien nous apprendre sur celle qui lui succède. Les derniers mois ont été, de ce point de vue, riches d'informations qui méritent le détour d'un décryptage. Retenons en quatre. Notons d'abord que l'année 2011 devrait se terminer avec un volume consternant d'importations de biens et services frôlant la barre des 60 milliards de dollars, soit autour de 15% d'augmentation par rapport à 2010. Un chiffre qui confirme la tendance lourde à l'explosion du tout-import, observée au cours des dernières années, une tendance que la panoplie des mesures restrictives prises au cours de l'été 2009 (et notamment cette obligation surréaliste du paiement par crédoc) n'aura pas du tout infléchie. Ce qui était ainsi annoncé comme les prémices d'une nouvelle politique économique se révèle être un flop. Nul doute que les responsables de cet échec retentissant ne manqueront pas d'être durement sanctionnés en 2012. À moins de considérer que la maîtrise des importations n'ait été qu'un objectif tout à fait secondaire. Ou que le patriotisme économique soit lui-même un produit touché par la contrefaçon. Bien sûr, on pourra objecter qu'une augmentation des importations n'a en soi rien d'infamant ; ce serait même une performance si elle n'était portée par la seule variable du prix international des hydrocarbures, autrement dit si elle était adossée à une augmentation significative de la production intérieure ou à des exportations plus diversifiées. Or, force est de constater que si les importations ont pris l'ascenseur et ont été multipliées par trois (3) depuis 2004, le PIB (produit intérieur brut), quant à lui, en est réduit à l'escalier et peine toujours à avancer à un rythme moyen de 3 à 4%. En d'autres termes, nos investissements sont mal orientés, puisqu'ils ne font que creuser le fossé de notre dépendance extérieure. Les augmentations de salaires alimentent le même mouvement. Et puis, les chemins de l'investissement ou de la production sont tellement escarpés ; cela demande de la discipline et le sens de l'effort, toutes choses qui nous manquent cruellement. Les avoirs en devises, eux, ne manquent pas ; il est bien plus simple d'importer. En langage plus crû, cela veut dire : nous ne souhaitons pas travailler plus que ça ; alors nous nous sommes, avec la bienveillance de nos gouvernants, organisés pour vivre en petits rentiers, dans une forme d'«économie de la cueillette » d'une ressource providentielle de notre de notre sous-sol. Une ressource non renouvelable, il est vrai, et donc appelée à s'épuiser inexorablement. Quand cela ? Personne ne le dit encore ni ne semble s'en préoccuper, mais sûrement pas en 2012. Après ? On verra bien. Nos gouvernants actuels savent déjà qu'ils ne seront plus là pour y répondre. Et, de toute façon, Dieu y pourvoira. En second lieu, il y a ce chiffre impressionnant à tous égards, à savoir celui de nos réserves de change qui viennent de franchir le seuil symbolique des deux cents (200) milliards de dollars. À ces hauteurs-là, toute réflexion est bannie, par principe. Nous sommes parés à tous les chocs et 2012 est partie pour être une année tout à fait paisible. Largement de quoi acheter la paix interne. Et surtout ne pas s'en laisser conter par tous ces hurluberlus qui rêvent de faire du printemps une saison définitive. Sauf que, comme pour nous tourmenter, c'est le moment que choisissent ces Européens pour faire leur crise. Enfin, celle de leur monnaie, l'euro. Comme ils ne sont pas en mesure, à bref délai, de mettre sur pied un pouvoir politique qui puisse contrôler l'énorme pouvoir économique et commercial que leur union leur a mis entre les mains, leur zone monétaire, au lieu d'être un puissant levier sur l'échiquier économique mondial, se transforme en une source de faiblesse sur laquelle des marchés financiers prédateurs font feu de tout bois. Un effondrement de cette zone économique est donc une hypothèse à ne pas exclure en 2012. Comme il s'agit de notre premier partenaire commercial et de la première puissance économique au monde, les secousses risquent d'être rudes. De toute façon, il faut savoir que ce scénario n'est sans doute pas le plus dangereux. La dette souveraine européenne est nettement plus tenable que celle des USA. De nombreux analystes pensent que le véritable krach qui se prépare est celui du dollar et que le billet vert est devenu, en raison des déficits publics américains, la plus grande bulle spéculative de l'histoire. Avec un PIB de 14 000 Mds, une dette totale (dette privée incluse) de 50 000 Mds qui génère 4 000 Mds de dollars d'intérêts annuels, la faiblesse de l'économie américaine est un secret de polichinelle. C'est bien connu, cette économie ne tient, depuis longtemps, que par la grâce de la planche à billets ; elle alimente, ce faisant, une gigantesque bulle spéculative dont tout le monde s'accorde à dire que l'explosion n'est qu'une question de temps. Face à ce volcan qui gronde sous nos pieds et qui menace l'économie mondiale, l'on se dit que nous sommes décidément bien imprévoyants : nos réserves de change n'étant finalement que du papier, nous aurions du nous apercevoir que, comme lieu de stockage, notre sous-sol vaut largement celui des coffres-forts de grandes banques internationales. Troisième information de cette fin d'année, celle que vient de nous livrer notre auguste APN après une laborieuse commission d'enquête, à savoir que l'informel gangrène dangereusement les circuits de notre commerce. Cela valait bien le coup de faire cette investigation, même si n'importe quel quidam qui se promène dans les rues de nos villes arrive encore plus vite à la même conclusion. Gageons qu'après ce constat, 2012 sera l'année de la réhabilitation du contrôle des marchés de gros, l'année de la mise en place d'une autorité nationale de la concurrence veillant à la loyauté des transactions sur l'ensemble du territoire national et celle de l'obligation effective du paiement par chèque pour toutes les grosses transactions. Le tout sous la surveillance vigilante du pouvoir législatif. Une véritable révolution qu'il conviendra de saluer d'autant plus bas qu'elle consistera à commencer d'appliquer des lois pourtant publiées au Journal officiel, pour certaines, depuis près de vingt ans. La dernière information est, quant à elle, passée relativement inaperçue dans la presse nationale : il s'agit de l'entrée de la Russie dans les rangs de l'OMC. En quoi sommes nous concernés ? En rien, sinon qu'après cela, notre pays est devenu de facto, depuis ce mois de décembre 2011, le plus vieux négociateur de l'accession dans cette organisation internationale. Cela fait tout de même, en théorie, 24 années que nous négocions cette satanée adhésion. De nombreux candidats, venus bien après nous, ont bouclé le processus sans coup férir. Nous laissant en rade, en compagnie de quelques autres pays en mal de gouvernance comme l'Afghanistan, le Yémen, l'Ethiopie, le Soudan, la Libye, la Syrie, l'Irak, les Comores, le Laos, le Liberia, les Seychelles, etc. Mais au fait, pour quelles raisons, ce processus d'adhésion est-il bloqué depuis si longtemps ? Personne ne l'a jamais expliqué clairement et nous-mêmes, pas plus que les membres de cette organisation, n'en savons fichtre rien. On peut juste tenter quelques conjectures. Première réponse possible : cela serait, à l'évidence, pour mieux protéger nos producteurs. Une réponse convenue, mais là, on en doute un peu, si l'on se rappelle que notre économie serait plutôt le paradis des importateurs et que, tout le monde en convient, il y est bien plus facile d'importer que de produire quoi que ce soit. Près de 90% de nos balances commerciales bilatérales sont déficitaires. Et puis les économies de nos voisins, membres de l'OMC depuis longtemps, ne sont-elles pas bien mieux protégées que la nôtre ? Et enfin, il n'y a pas d'exemple de pays qui, en entrant dans l'OMC, aura vu ses importations tripler en l'espace de quelques années. Cette performance, nous l'avons réalisée tous seuls, en toute souveraineté et sans la contrainte de règles internationales. Alors, à considérer ainsi l'efficacité de notre propre protectionnisme, on se dit que la liberté de commerce prônée par l'OMC serait certainement une potion un peu plus douce. Une seconde réponse tiendrait dans le désir de maîtriser notre intégration à l'économie mondiale et de pouvoir faire face à des marchés de biens et services versatiles. Mais cela est aussi peu pertinent. Parce qu'enfin, comment croire qu'un pays qui ne craint pas, sans se poser de questions, de placer 200 Mds de dollars, soit l'équivalent de 130% de son PIB, dans un système financier mondial incontrôlé et capable de déstabiliser les plus grandes puissances économiques, pourrait avoir peur de marchés commerciaux, certes, instables mais tout de même fortement régulés, précisément par une institution comme l'OMC ? Enfin, troisième réponse possible, celle de la complexité des règles édictées par les nombreux accords de l'OMC. Il est vrai, à ce titre, que si nous n'arrivons pas à appliquer nos propres législations, il serait bien imprudent de surcharger la barque en s'engageant à respecter celles d'une organisation mondiale, au risque de nous voir reprocher nos défaillances par des partenaires étrangers trop tatillons. Et de se retrouver dans l'obligation d'avoir à mettre un peu de cohérence dans nos politiques publiques. Mais, si l'on en croit notre ministre du Commerce, qui revient tout juste de la dernière conférence ministérielle de l'OMC à Genève, notre accession s'annonce sous de bien meilleurs auspices pour cette année 2012. La révolution serait donc bien à nos portes. Souhaitons-lui de ne pas défaillir. Amen ! Et bonne année à tous. M. H. * Consultant au forum des chefs d'entreprise cf. l'excellent ouvrage de Myret Zaki : La fin du dollar, Ed. Favre, 2011, 2e édition