Mouvement citoyen Le dialogue divise les Archs A l'origine de la dislocation des archs, il y a le dialogue. En décembre 2001, neuf délégués avaient été exclus de la CADC de Tizi Ouzou pour avoir manifesté des velléités dialoguistes. Deux ans plus tard, neuf autres délégués sont exclus pour des raisons diamétralement opposées, alors que six autres parmi les partisans du dialogue sont excommuniés. C'est la guerre de légitimité. Qui doit exclure qui ? Paroles de délégués. Pour les conclavistes d'Imzizou, l'adoption du document de mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur n'est pas synonyme de reddition ni de compromission, dès lors que le dialogue ne peut avoir lieu qu'après la satisfaction des six incidences arrêtées à Raffour (Bouira). Ils accusent leurs camarades exclus par la plénière d'Imzizou d'avoir transgressé le code d'honneur et les principes directeurs du mouvement citoyen. Certains délégués partisans du document de mise en œuvre accusent ouvertement le RCD d'être derrière cette implosion des archs. Mohamed Merkitou, délégué de la coordination de Tigzirt, non concerné par cette histoire d'exclusion, déclare : “Un délégué mandaté par son village ou sa commune, ne peut faire l'objet d'une exclusion par ses pairs d'autres coordinations, surtout si la représentativité de ces derniers s'avère discutable”, explique notre interlocuteur, avant de s'interroger comment un délégué de la cage B., qui n'a pas forcément le mandat populaire de sa ville, puisse se permettre de parler au nom de la Kabylie sans qu'on ne trouve à redire ? Le pouvoir qui veut “vendre” un dialogue de pacotille pour la région ne semble pas étranger à cette cacophonie qui a gagné le mouvement citoyen. Pour preuve, des plénières entières sont consacrées à fustiger les partis politiques, alors que le mouvement citoyen n'a pas pour vocation de s'attaquer aux formations politiques. Les archs sont, jusqu'à preuve du contraire, un mouvement transpartisan. Hier encore, un délégué s'époumonnait dans les colonnes d'un confrère à tirer à boulets rouges sur un leader politique, qu'il accuse de vouloir la tête de Belaïd Abrika. Le délégué de Makouda se démarque de ces attaques, et dit s'en tenir aux principes directeurs. “Les villages n'ont pas mandaté leurs représentants pour tirer sur les partis”, affirme Mohamed Meziani. C'est pour cela d'ailleurs que les observateurs décèlent comme un lien de cause à effet entre l'offre de dialogue de M. Bouteflika et la présidentielle de 2004. Les accusations mutuelles des deux ailes de la CADC de Tizi Ouzou en sont l'illustration parfaite. Les antidialoguistes sont soupçonnés de vouloir aller à la présidentielle, tandis que les partisans du document de mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur sont accusés par leurs pairs de rouler ouvertement pour Ouyahia par l'entremise de ce qui est appelé communément “la troisième voie”. Dans l'affaire, qui fait donc le jeu du pouvoir ? Belaïd Abrika accuse le groupe de Mechtras de vouloir mettre le mouvement citoyen au service de l'élection présidentielle. Dans un entretien accordé au Matin, Abrika explicite sa pensée. Pour lui, les détracteurs du document de mise en œuvre, exclus par la plénière d'Imzizou, veulent caporaliser le mouvement des archs. “Ils veulent mettre les acquis de plus de presque trois ans de combat et de lutte au service de la prochaine élection présidentielle”, dira-t-il, qualifiant cette démarche de dérapage, que les populations “n'admettront jamais”. L'exclusion des délégués que justifie Abrika, est rejetée par d'autres structures des archs, à l'image du conseil de daïra des Ouacifs et de la coordination de Béni Douala. “Curieusement, la plupart des ex-détenus sont pour le dialogue”, affirme pour sa part Rabah Issaâdi, l'un des exclus. C'est pourquoi la déclaration de Mechtras parle d'“imposteurs (...) chargés de mission pour mettre en œuvre un cahier des charges concocté dans des officines des cercles occultes du pouvoir mafieux et assassin”. Un pouvoir qualifié par définition d'antidialoguiste. Devant cette déchirure, des coordinations locales, à l'image du arch de Larbaâ Nath-Irathen, tentent de recoller les morceaux. Un travail de réconciliation est entamé par les délégués pour aplanir les différends à l'intérieur de la CADC, avant la prochaine interwilayas pour laquelle deux appels de la CADC ont été lancés, l'un fixant le conclave à Tizi Ouzou (probablement à l'INTHT) et l'autre prévoyant la rencontre de l'Interwilayas aux Ouadhias. L'éclatement des archs demeure l'un des objectifs “indirects” du dialogue proposé par le pouvoir devenu subitement “fréquentable”. Mais, à supposer que l'offre de dialogue ne constitue pas une manœuvre sournoise, est-il possible de mener des négociations dans ce contexte préélectoral ? Ce dialogue, pour lequel des délégués s'imaginent déjà en train d'ajuster leurs cravates, ne peut constituer une solution à la crise de Kabylie. Le Président-candidat veut une normalisation de la région en lieu et place d'un règlement définitif de la crise, à l'origine de laquelle il y a eu un crime d'Etat resté à ce jour impuni. Pourquoi veut-il aller au dialogue plus vite que la musique, au moment où ce même dialogue ne fait pas le consensus à l'intérieur des tendances des archs ? That's the question. Yahia Arkat MINEE PAR DES DIVERGENCES DE FOND La CICB au bord de l'implosion La crise larvée qui ronge depuis plusieurs mois les structures du mouvement des archs de Kabylie a fini par éclater au grand jour, provoquant un climat de friction sans précédent parmi les délégués des différentes coordinations. En effet, après la scission de la CADC de Tizi Ouzou qui s'est vu divisée en deux coordinations, voilà que la CICB commence à vivre une situation de turbulence très ardue, caractérisée par la guerre des communiqués et les tirs croisés auxquels se livrent presque quotidiennement les délégués par presse interposée. Pour rappel, les premières divergences politiques ont fait leur apparition au lendemain de l'adoption par l'intercommunale du fameux document dit de la mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur. Si certains délégués estiment que ce document est loin d'être à la hauteur des aspirations populaires, d'autres vont jusqu'à le rejeter carrément, soutenant que les revendications du mouvement citoyen ne peuvent être dévoyées de l'esprit de la plate-forme d'El-Kseur. Cependant, l'offre de dialogue lancée par le pouvoir aux délégués des archs n'a fait qu'accentuer davantage la tension qui règne déjà au sein des instances du mouvement citoyen, au point où le conflit a engendré une déchirure entre les partisans et les opposants à l'option du dialogue. Les tenants du dialogue trouvent que cette option est la seule issue à la crise de Kabylie qui a trop perduré, tandis que les autres la qualifient de “reddition”, arguant que “ce sont les responsables des crimes commis en Kabylie qui appellent aujourd'hui à un dialogue avec les archs de la même région !”. Il faut dire que le pouvoir a réussi à semer la division au sein du mouvement citoyen, du fait que celui-ci n'a pas pu préserver sa cohésion. Pour preuve, que reste-t-il réellement de la CICB ? Après le retrait définitif, au mois de juillet dernier, du Comité de la société civile (CSC) d'El-Kseur de cette structure, c'est au tour du comité communal d'Amizour de décider le gel de ses activités dans cette instance qui ne cesse de se réduire telle une peau de chagrin. Selon certaines indiscrétions, toutes les coordinations communales s'inscrivant dans cette logique qui consiste à “refuser toute prise de langue avec un pouvoir maffieux et assassin”, devraient claquer la porte de la CICB, lors du conclave extraordinaire de cette intercommunale, prévu pour vendredi au Théâtre régional de Béjaïa (TRB). Une autre défection à signaler est le retrait définitif du délégué de Sidi Aïch, M. Bezza Benmansour, qui devait remettre, hier après-midi, son mandat de délégué, au terme de la réunion de la coordination communale à laquelle il est affilié. Ne pouvant plus continuer à assumer sa mission en ces moments de confusion générale, ce délégué de Sidi Aïch préfère plutôt quitter la CICB qu'affronter ses détracteurs qui ne cessent de l'accuser de toutes tares. “Mon éducation, mon statut social et mon esprit de responsabilité m'imposent le devoir de la retenue devant toutes les allégations mensongères qu'on profèrent çà et là”, se contente de dire le désormais ex-délégué de Sidi Aïch, en guise de réponse à ses détracteurs. Enfin, une chose est sûre, les débats de la réunion de demain seront plus que jamais houleux, et d'aucuns craignent que les choses prennent une fâcheuse tournure. Est-ce le début de la fin du mouvement des archs ? L'avenir prochain nous le dira. KAMEL OUHNIA CADC La coordination d'Ath Jennad est-elle visée par la déstabilisation ? Une déclaration anonyme, rédigée au nom du arch d'Ath Jennad, une coordination qui s'est prononcée dès le début en faveur du dialogue tel que adopté lors du conclave de l'Interwilayas de Raffour, a surpris, dans la journée d'hier, les porte-parole de cette coordination qui n'ont pas d'ailleurs tardé à dénoncer le rédacteur de ce document qui prône une position contraire à celle de la coordination en question, en qualifiant le dialogue des archs de “dialogue de reddition”. Alors que la coordination d'Ath Jennad a pris, tout au long des conclaves de la CADC, la défense du document de mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur, élaboré et amendé à Illilten avec d'ailleurs la participation de ses délégués, l'auteur de cette déclaration considère que “les sollicitations hypocrites et malsaines du pouvoir en place ne sont qu'un autre simulacre de dialogue, au demeurant biaisé et discrédité tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays”, et ajoute plus loin : “Le document de mise en œuvre de la plate-forme d'El-Kseur est un acte de reniement et de négation de la dimension, de l'esprit et de la portée de la plate-forme d'El-Kseur.” À propos des délégués exclus par la CADC à Imzizou, le rédacteur du document considère que “lorsqu'on veut rassembler, on n'exclue jamais”. L'hypothèse d'une éventuelle dissidence au sein de la coordination d'Ath Jennad a été démentie avec force par ses délégués, connus pour leur engagement dans le mouvement citoyen, qui ont affirmé que leur coordination n'est nullement touchée par une quelconque dissidence. Par ailleurs, une réunion de concertation serait prévue par cette même coordination pour aujourd'hui à Fréha. Réunion des parents de martyrs aujourd'hui à Tizi Rached Pour la réunification des rangs Les parents de martyrs qui ont accompagné le mouvement citoyen, la plupart dans l'espoir de voir un jour les assassins de leurs enfants traduits devant les tribunaux et les revendications de la Kabylie satisfaites, se réuniront dans la matinée d'aujourd'hui à Tizi Rached pour débattre de la dangereuse situation qui prévaut depuis quelques semaines au sein de la CADC. Cette réunion est décidée lors du conclave extraordinaire d'Imzizou, jeudi dernier, à l'initiative des parents de martyrs qui veulent, au nom de tous les martyrs du Printemps noir, exprimer à la fois leur inquiétude quant à la situation actuelle et surtout à l'avenir du mouvement citoyen qui ne peut sans doute pas aller encore loin dans cette division, et adopter une position commune concernant le document de réflexion qui engage l'avenir de la Kabylie. Pour ces parents, touchés dans leur amour-propre, la cohésion et l'unité des rangs au sein du mouvement citoyen demeurent plus que jamais nécessaires pour l'aboutissement du combat payé avec le sang de leurs enfants. SAMIR LESLOUS