On plaisante Omar, on le hue, le jeune garçon est désespéré. Il voudrait mourir. Omar va à l'école, il essuie les quolibets de ses camarades et, sans répondre, il se met à sa place, à la dernière place, que l'instituteur lui a réservée depuis plusieurs semaines maintenant. Il ouvre son livre, fait semblant de lire le texte mais se perd dans une rêverie qui l'emmène loin de la classe… Il sursaute, retirant brusquement ses doigts, qu'une douleur brûlante vient de traverser. - Je t'ai demandé de lire ! Comme il ne réagit pas à l'injonction, la règle s'abat de nouveau, sur la tête, les épaules, le dos… Une main d'acier le saisit par le col et le plaque dans un coin ; - Et surtout que je ne te vois pas bouger ! Il ne bougera pas de là, poursuivant la rêverie interrompue. à la sonnerie, le maître doit le secouer pour lui dire qu'il doit partir. Dehors, ses camarades l'assaillent mais il ne répond pas. Il marche comme un somnambule, regardant devant lui. On le pousse, on le pince, il ne réagit toujours pas. Brusquement, il quitte le trottoir et s'engage sur la chaussée. Un voiture passe en trombe et tente de freiner mais la vitesse est trop grande. Le choc est terrible. Il a le temps d'entendre quelqu'un dire : “Il s'est jeté sur la voiture”, avant que la petite lueur de vie qui brillait en lui ne s'éteigne définitivement. La petite ville est en deuil, car chacun se sent un peu responsable de la mort du petit Omar. On parle d'accident bien sûr, mais tout le monde sait que le petit s'est suicidé. On l'a bien vu quitter le trottoir et aller vers les voitures. On a vu aussi d'autres petits l'importuner. Toute sa classe est venue, ainsi que son maître et les autres maîtres d'école. Il y a aussi les amis de la famille qui ont plaisanté Omar quand son père l'a forcé à raconter son histoire. Et les enfants des amis de la famille, qui ont divulgué son histoire. Et ses frères et ses sœurs. Et son père et sa mère... Les uns pleurent, les autres, très émus, ne disent rien. Tous sont désolés. Le petit Omar, étendu sur la civière des morts, est entièrement entortillé dans un drap blanc, la tête recouverte de bandages de sorte qu'on ne voie que son petit visage. Un petit visage tout pâle, avec, comme son grand-père, un petit sourire aux lèvres. Peut-être que lui aussi est maintenant heureux… à midi et demi on soulève la civière pour emporter le corps. La mère pousse des cris déchirants et s'accroche à lui. On doit la tirer pour lui faire lâcher prise. On emporte le corps… Cérémonie rapide au cimetière. La prière des morts ne dure que cinq minutes – il y a d'autres morts qui attendent – puis on ensevelit le corps dans une fosse déjà prête. Son père, ses frères, les maîtres d'école et les petits camarades jettent chacun une poignée de terre sur la tombe. Une sorte d'adieu, teinté de remords. Puis on récupère la civière qu'il faut rendre à la mosquée du bourg et le tapis vert dont on a recouvert le corps. On s'apprête à quitter le cimetière quand un petit camarade de Omar pousse un cri strident. - Regardez ! Un énorme chat vient de surgir de derrière une tombe. Un chat complètement noir avec deux queues, noires également, mais avec, au bout, des touffes de poils blancs… - Une anomalie génétique, commentera le maître. Un gamin a quand même le courage de dire : - Pour une fois, Omar avait raison ! Fin G. B.