Le double attentat qui a ébranlé la Turquie marque-t-il le retour à la violence dans ce pays atypique du monde musulman ? Les regards se portent en premier lieu sur Al-Qaïda. Pour le symbole, les bombes ont sauté à côté de synagogues. La Turquie a de quoi alimenter la hargne des islamistes radicaux. Le pays est, certes, gouverné par des islamistes, modérés ceux-là, mais le pays fait toujours partie intégrante du dispositif sécuritaire américain dans la région via l'Otan. Le détroit des Dardanelles n'a plus sa valeur du monde bipolaire, mais Ankara reste une pièce maîtresse pour le Pentagone, même si ses généraux ont traîné du pied pour rejoindre la coalition qui a occupé l'Irak. La Turquie s'est également liée à Israël avec un accord militaire stratégique secret, mais dont on sait qu'il autorise les F16 du Tsahal à survoler le ciel turc pour observer de près l'Irak, la Syrie et le Liban. De ce point de vue, il est probable qu'Al-Qaïda veuille faire payer à la Turquie ses alignements, dans le style de ce que subit l'Arabie Saoudite à qui Ben Laden a déclaré une guerre sans merci. C'est d'ailleurs le gouvernement lui-même qui, le premier, a indiqué la piste islamiste. Le parti radical turc, le front des combattants islamiques de l'Orient a été décapité en 1998 avec l'arrestation de tous ses dirigeants et leur emprisonnement à vie, mais pour le ministre de l'Intérieur, Al-Qaïda aurait réveillé ses réseaux dormants. Le pouvoir de l'Akp n'a satisfait ni ses militants des quartiers populaires ni les islamistes plus radicaux qui lui reprochent l'abandon de ses principes islamiques. L'Akp est brocardé pour son acceptation de la laïcité, le maintien des relations privilégiées avec les Etats-Unis, ses propres efforts pour faire aboutir l'adhésion de la Turquie à l'UE et, plus grave à leurs yeux, la non-dénonciation des accords militaires avec Israël. Ce double attentat est également intervenu au moment où l'Akp a engagé son programme d'assainissement politique qui vise à éradiquer la corruption et qui lui a valu l'adhésion, l'an dernier, de larges pans de la société turque, y compris des non-islamistes. La semaine dernière, l'Akp a demandé l'ouverture d'enquêtes parlementaires contre quatre anciens ministres dans le cadre d'affaires de corruption. Selon les premières révélations, ce dossier concerne vingt-cinq ministres, dont deux anciens premiers ministres. L'affaire tient en haleine l'opinion turque et si les procès diligentés par l'Akp aboutissent, c'est pratiquement toute la classe politique turque qui sera sur le gril et, par effet concentrique, même l'institution militaire n'y échappera pas. Les dignitaires se tiennent le ventre. L'Akp prévoit de faire comparaître tout ce beau monde devant un tribunal spécial. Dans les attentats commis à Istanbul, vitrine de la Turquie, et à Mossoul dans le nord de l'Irak, une chose est au moins certaine : les kurdes n'y ont rien à voir. L'organisation des kurdes de Turquie (Kadek) a annoncé son auto-dissolution la semaine dernière, renonçant au séparatisme (prôné par son chef historique Abdullah Ocalan, en prison) et à la violence. Le Kongra-gel (congrès du peuple du Kurdistan) qui a pris sa relève, vise une union moderne et démocratique dans le respect de l'unité de la Turquie. Son nouveau leader précise que les kurdes livreront leurs armes dès lors que le gouvernement montrera les mêmes dispositions. D. B.