L'homme de théâtre, qui prépare une vingtaine de représentations à Alger de son dernier spectacle pour le mois de mars prochain, est revenu, durant un débat, sur la problématique de la culture en Algérie. Sans concession. L'espace Mille et Une News du quotidien Algérie News a abrité, avant-hier après-midi une rencontre-débat, avec l'homme de théâtre, Slimane Benaïssa, qui avait – avant de s'adonner au jeu des questions/réponses avec le public – déclamé quelques extraits de son dernier spectacle, El Moudja Wellat, et proposé des extraits vidéo de cette “pièce à un seul acteur”, où l'on retrouve le personnage de Boualem, qui [re]prend la parole pour retracer l'histoire de l'Algérie, des années 1940 à nos jours. “La tragédie est portée par Boualem, car il est bien plus qu'un personnage, il exprime la conscience populaire”, explique Slimane Benaïssa qui combine, à la faveur de cette pièce, sa maîtrise de la langue aux contradictions d'une société. El Moudja Wellat dont le texte se veut “un croisement entre le monologue classique et le montage poétique”, passe en revue l'histoire de l'Algérie, tout en exprimant les douleurs d'un peuple qui a connu tant de transformations sur tous les plans. “Il m'a semblé très important de faire une synthèse de tout ce qu'on a vécu. Ce pays a connu une suite d'évènements forts de telle sorte que chaque évènement nous fait oublier celui qui le précède”, indique-t-il. Car pour lui, il n'y a pas de continuité ; chaque nouvelle décennie marque une rupture avec celle qui la précède, à tel point que même la réflexion est aujourd'hui fragmentaire. Mais la question essentielle pour l'auteur de Babor Ghreq est de savoir avec quels évènements on souhaite avancer, d'autant que beaucoup de points restent encore à démêler. Pour lui, qui a estimé que “le discours social a régressé”, on ne peut avancer que si l'on accepte de libérer l'expression sur les vraies douleurs du peuple, mais “parler de la douleur sans tomber dans le malheur”. Et c'est ce qu'il a tenté de faire dans El Moudja Wellat, un spectacle qui lui permet aujourd'hui de se sentir “apaisé”. “Apaisé de ma douleur, en attendant les prochaines”, et apaisé d'avoir retrouvé le public algérien, après des années d'exil. À ce propos, il dira, en guise de réponse à ceux qui lui ont reproché – des reproches frisant le règlement de compte –, dans l'assistance, son départ : “Je ne suis pas responsable de mes départs, mais je suis responsable de mon retour. Et on a porté l'Algérie en nous à chaque instant car vivre son pays et les siens ne dépend ni de l'exil ni des frontières.” Slimane Benaïssa soulignera également que nous vivons actuellement, à tous les niveaux, une situation cruciale, et la problématique essentielle à l'heure actuelle est de savoir comment aborder les conflits que nous avons accumulés. Dans le domaine culturel, la question se pose également de cette manière-là, d'autant qu'“en tant que poète et homme de théâtre, nous construisons la légende de notre histoire et la mémoire d'un peuple”. La meilleure manière de construire la mémoire de l'Algérie passe, pour lui, par la “démocratisation” de l'expression culturelle. Il a considéré que le rapport de l'algérien à la culture est inexistant parce qu'il ne vit pas la culture au quotidien, ce qui creuse un très grand fossé, entre ceux qui pensent (et font) la culture et ceux qui la reçoivent. “On a renversé trop la vapeur”, a-t-il martelé, tout en évoquant le fait que la culture soit liée à des évènements bien précis, et que l'on fasse appel à des compétences étrangères. Slimane Benaïssa a également insisté sur le volet formation, point nodal et crucial pour lui, ainsi que sur la relation des intellectuels entre eux. Selon lui, “ce qui a tué les intellectuels algériens, c'est qu'on a demandé des comptes à nous-mêmes et qu'on s'est jugés. On n'a pas installé une complicité entre nous”. Cette complicité inexistante aurait pu constituer une force… S K