“Nous avons eu mille promesses mais aucune n'a été tenue. Ils(les autorités locales) sont venus et se sont moqués de nous, juste pour avoir nos voix aux élections, mais nous n'irons pas voter cette fois”, dira dépité un habitant de Aïth B'china. Une quinzaine de jour après les impressionnantes chutes de neige, la route qui mène vers le douar d'Aïth B'china vient à peine d'être dégagée. À l'intérieur du véhicule, le thermomètre affiche -8° en dépit d'un soleil radieux. Au pied du mont R'faâ, la température est négative depuis le début du mois de février et elle a rarement avoisinée les 2 degrés. À l'entrée du douar Aïth B'china qui compte une centaine de famille, des citoyens sont venus nous attendre, après nous avoir contacté dans l'espoir de dire mais surtout de crier leur désarroi, face à la vague de froid qui en réalité, n'était que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, car dans ces lieux hostiles, chaque jour que Dieu fait est une peine, un combat, nous disent les habitants. Pendant 15 jours, les enfants n'ont pas eu classe, les sentiers étaient bloqués, l'unique bus de solidarité qui assure la liaison avec l'établissement scolaire était bloqué par la neige, mais la cerise sur le gâteau était la température qui a avoisiné les – 15°. Ayant été pris au dépourvu, les habitants de la dechra n'avaient aucun stock de gaz ou de mazout pour faire face au froid. Le seul point de vente se trouve à plus de 25 kilomètres, dans la daïra de Aïn Touta, mais y parvenir relevait de l'impossible, car la route était couverte d'une épaisseur de neige qui dépassait 90 centimètres. Ainsi, beaucoup de citoyens se sont rabattus sur le bois de forêt. “Nous avons pris d'énormes risques”, nous dit Farid, “car dans cette période froide, les animaux sauvages rôdent et se risquent même en plein douar”. On nous montre, pour preuve, le cadavre conservé par le froid, d'un loup terrassé par le gel. Pour nous abriter du froid, nous nous rendons dans l'unique et austère salle de soins, où plus personne ne vient et surtout ne se soigne depuis plus de 25 jours. Des vitres brisées, des jerricans de mazout vides et une armoire pour médicaments qui contient, à la place, des boulons et des écrous. Le gardien des lieux nous dit tristement : “La salle de soins ressemble à nos maisons, c'est-à-dire des cubes de béton froids où on meurt en silence sans que personne ne demande après nous. Nous sommes des omis dans cette région et c'est le même cas pour les autres douars, à savoir Tanfit, Ikhf NouJerf, Tizdadine, Tarchiouine… Le maire et le chef de daïra sont venus 6 jours après et ils sont repartis aussi vite qu'ils sont venus. Nous n'avons pas besoin de sacs de semoule ou de sucre, mais plutôt d'infrastructures, des habitations respectables, pas comme celles où nous nous entassons aujourd'hui. Cette vielle bâtisse c'est la carcasse d'un ancien souk el fellah, que plus de 6 familles occupent depuis les années 80. Nous avons eu mille promesses mais aucune n'a été tenue. Ils sont venus et se sont moqués de nous, juste pour avoir nos voix aux élections, mais nous n'irons pas voter cette fois”. Tous les présents à notre rencontre adhèrent aux propos de notre interlocuteur, en affichant mécontentement et désapprobation. C'est le propriétaire de l'unique voiture d'Aïth B'china qui réussit à détendre un tant soit peu l'atmosphère, en disant qu'il est à la fois l'épicier (car il n'en existe point) l'ambulancier et là aussi, ça fait des années que la population réclame un véhicule en vain, en dépit du nombre croissant, aussi bien des mères que des nouveau-nés, mais aussi et surtout le guérisseur du village, car s'il faut attendre le passage, jamais sûr du médecin généraliste, qui consulte un fois par semaine normalement, mais une fois par mois en réalité, les habitants d'Aïth B'china ont tout le temps pour mourir, sans que personne ne s'en inquiète. En venant à Aïth B'china ou en le quittant, il n'y a aucune indication ou plaque de signalisation, hormis les plaques de fortunes installées par les habitants, avec pour seul souci d'orienter les rares automobilistes qui s'aventurent dans la région. Une route qui se décape à vue d'œil car mal nivelée, mal asphaltée et très mal compactée. Considérée comme un poumon pour tous les villageois, la route ne tiendra pas un autre hiver, et aussi bien Terchiouine qu'Aïth B'china, retomberont dans l'enclavement qu'ils ont cru quitter, en vain. Un ancien du village disait : “Nous n'avons jamais eu d'indépendance”. R H