On n'en parle pas trop, les feux de l'actualité étant braqués sur l'autre brasier qu'est l'Irak. Deux ans après leur entrée en Afghanistan, les USA ne sont toujours pas venus à bout ni d'Al-Qaïda ni des talibans. La normalisation n'est plus ou moins effective qu'à Kaboul. Encore, grâce à la présence d'une force multinationale (sous l'égide de l'Otan) et de quatre bases américaines. L'autorité du gouvernement Karzaï s'arrête aux portes de la capitale. Ailleurs, ce sont toujours les chefs de tribu (en fait des chars de guerre) qui font la pluie et le beau temps, avec des alliances et contre-alliances qui évoluent même au gré des humeurs. Dans le Sud, frontalier du Pakistan (les fameux no man's land tribaux) les talibans sont comme des poissons dans l'eau. Les principales bases d'Al-Qaïda n'ont pas résisté aux bombardements US mais Ben Laden court toujours et fait parler de lui hors de l'Afghanistan. Tous les attentats post-World Trade Center lui sont attribués : depuis Casablanca (Maghreb) à l'île de Jolo (Pacifique) en passant par Riyad et Istanbul (Moyen et Proche-Orient), Karzaï, ramené dans le parquetage des GI's, n'arrive pas à asseoir son autorité. Le pays a trop souffert de guerres civiles et les peuples afghans ont été presque totalement décimés par les multiples expériences islamistes que lui ont imposé les successifs chefs de guerre et dont l'excès a été couronné par le talibanisme, c'est-à-dire le wahhabisme dans sa logique fasciste. Karsaï devrait d'ici la fin de l'année soumettre un projet de constitution démocratique qui garantisse la participation de tous les citoyens, y compris les femmes, “particulièrement les femmes”, selon la précision de C. Powel, le secrétaire d'Etat US. Mais, le chef de la transition afghane viendra-t-il à bout des pesanteurs sociologiques et des réticences des chefs de tribu qui ne sont pas restés les bras croisés devant ce projet ? Il est fait état déjà d'un retour des talibans qui, comme au temps de leur superbe, menacent les Afghans qui se sont plus ou moins affranchis du talibanisme. La reconstruction du pays peine à démarrer faute de bailleurs de fonds, mais aussi de l'insécurité qui règne hors de la capitale. La communauté internationale qui applaudit à l'éviction des talibans est moins prompte à mettre la main à la poche pour moderniser le pays et, partant, contribuer concrètement à la délivrance des Afghans de la tenaille islamiste. Powel a promis l'envoi de troupes dans ces régions, comptant sur la solidarité internationale pour épauler les troupes US qui on fort à faire en Irak. Mais, comme en Irak, les forces militaires américaines qui demeurent l'épine dorsale de la normalisation en Afghanistan, font souvent l'objet de tirs de la part de groupuscules talibans réanimés par des chefs de tribu qui ne veulent rien changer dans le pays. D'ailleurs, l'Afghanistan est toujours un des principaux pourvoyeurs de drogues, malgré l'intervention des Etats-Unis. La clef du problème est entre les mains du Pakistan qui, en dépit des engagements de Musharref, ne veut toujours pas donner le coup de pied dans la fourmilière talibane qui s'est regroupée dans ces fameuses zones de non-droit, à cheval entre le Pakistan et l'Afghanistan. On dit que c'est là que Ben Laden a trouvé refuge. Pourquoi Musharref alimenterait-il une zone d'instabilité ? Selon, pour certains, c'est pour rester incontournable aux yeux des Occidentaux et prendre part, d'une manière ou d'une autre, dans la construction du nouveau Pakistan. Pour d'autres, ce n'est là qu'un gage à l'islamisme pakistanais qui ne s'est pas déclaré vaincu. Selon “la feuille de route” américaine parrainée par l'ONU, l'Afghanistan doit tenir l'an prochain des élections législatives et présidentielles. Ce n'est pas gagné. Powel en personne, dans un récent article à l'intention de la presse étrangères, a avoué que “tout danger n'est pas écarté”, soulignant que les “talibans qui restent veulent inverser la tendance” et que “certains dirigeants locaux résistent encore au gouvernement central”. Des aveux lourds de sens. D. B.