La semaine dernière, Halim Benatallah a crié sa colère contre ce qu'il avait présenté comme une discrimination des demandeurs algériens de visa, tenus de remettre aux consulats de France et d'Italie le talon de leur carte d'embarquement à leur retour au pays. Cette mesure à laquelle est soumise une partie seulement des titulaires de visa a pour but de prouver que ces derniers ne sont pas restés en France, rejoignant les bataillons des sans-papiers. Le visa est, en effet, présenté parfois comme un “passeport” pour l'immigration clandestine. La colère du ministre en charge de la Communauté à l'étranger rappelle celle de 2005 lorsque les députés français avaient adopté une loi appelant à glorifier les “aspects positifs” de la colonisation. Aucun diplomate n'avait moufté pendant tout le temps qu'ont duré les débats. L'ambassade d'Algérie est pourtant bien fournie en personnel mais on ne semble pas y trouver le temps de s'intéresser aux travaux parlementaires. Il suffit pourtant de presque rien : de la proposition d'un projet jusqu'à sa promulgation, toutes les étapes peuvent être suivies sur le site Internet. Ne fut-ce la réaction donc d'historiens français indignés, on ne savait rien de cette loi qui a fini par enterrer le projet du Traité d'amitié envisagé par les présidents Chirac et Bouteflika. S'agissant du visa, il ne s'agit pas d'une loi. Mais d'une mesure découlant d'un rapport de l'ex-sénateur de droite, Adrien Gouteyron, datant de 2007. Intitulé : “Trouver une issue au casse-tête des visas”, le document ne concerne pas que les Algériens qui arrivent parmi les quatre premiers bénéficiaires de ce permis, avec les Russes, les Chinois et les Marocains. “Il ne s'agit pas d'une pratique qui concerne le seul consulat général de France à Alger puisque c'est une pratique universelle. La quasi-totalité des consulats français y ont recours. Donc, ce n'est pas une pratique qui peut être qualifiée de discriminatoire à l'encontre des Algériens. Par ailleurs, il ne s'agit pas d'une disposition récente mais au contraire d'une pratique ancienne. Il suffit pour s'en convaincre de lire le rapport du sénateur Gouteyron de 2007, qui est toujours disponible sur le site Internet du Sénat, et une instruction de mai 2011 à harmoniser cette pratique de manière à ce qu'il n'y ait pas de disparités entre ce que fait tel consulat et tel autre. Les contrôles au retour se limitent à certains cas, notamment lorsque le consulat estime qu'il peut y avoir un doute sur les intentions réelles du demandeur de visa. Chaque consulat peut en fonction de sa spécificité, et en particulier de l'ampleur de la circonscription consulaire, adapter la mise en œuvre de ces contrôles”, a précisé le Quai d'Orsay. Selon le rapport Gouteyron, “la France est le premier pays d'arrivée de visiteurs étrangers à ses frontières, devant l'Espagne et les Etats-Unis”, des flux “touristiques, familiaux et d'affaires qui induisent des recettes de l'ordre de 34 milliards d'euros par an.” “Sur 76 millions de résidents étrangers se rendant pour un court séjour dans notre pays, seuls 2 millions sont soumis à une obligation de visa préalable. 97,4% des visiteurs étrangers sont donc dispensés de visa. Près de 9 visiteurs sur 10 proviennent des pays européens limitrophes de la France avec une forte majorité de Britanniques et d'Allemands. Aucun pays soumis à l'obligation de visa ne figure dans les 10 premiers pays d'origine des visiteurs étrangers en France.” “Pour autant, les flux d'affaires ou de tourisme venant de certains pays émergents (Chine, Russie, Turquie, mais aussi, dans une moindre mesure, Afrique du Sud), soumis à l'obligation de visa, sont en progression constante. Ils constituent un élément précieux pour l'avenir économique de notre pays, pays de tourisme et de congrès. La demande chinoise de visas a augmenté de 9% en 2006. Moscou est devenu la même année le premier poste consulaire au monde pour les demandes de visa, avec près de 260 000 demandes.” Le rapporteur s'est intéressé à la “fiabilité et l'équité de la procédure de délivrance” des visas, c'est-à-dire le fait de “refuser les visas qui doivent l'être, de manière justifiée” et de “ne pas délivrer de visas, notamment de court séjour, à des personnes s'employant ensuite à détourner la procédure pour se maintenir de manière durable sur le territoire français”. Mais“faute de base informatique commune entre la police de l'air et des frontières et les services des visas, et en l'absence de circulation de l'information entre les différents pays de l'espace Schengen, il est difficile de savoir si le titulaire d'un visa de court séjour a quitté ou non le territoire français”. Une analyse du nombre d'expulsions montre que les Algériens arrivent, avec les Russes, en tête des personnes qui restent clandestinement en France après être arrivés avec un visa de court séjour. La mesure dénoncée par Alger s'applique uniquement aux personnes soupçonnées d'immigration clandestine. Elle semble viser la constitution d'un fichier destiné à bloquer leur régularisation. Elle permet d'éviter des cas de refus erronés, lesquels ont pour conséquence des recours qui prennent un temps précieux et apparaissent coûteux, une perte de croissance économique pour la France (moindre fréquentation touristique, réduction du volume d'affaires), une perte de bien-être familial pour les demandeurs de visa et leurs proches et un effet d'image négative pour la France. À l'inverse, les conséquences des visas indûment délivrés sont : un nombre accru de demandes d'asile instruites par l'Ofpra pour être ensuite rejetées, un nombre accru de personnes en situation irrégulière, une croissance du travail illégal, un risque d'activité criminelle, voire terroriste, accrue, selon le rapport. Parmi ses principales recommandations : ouvrir largement la porte aux visites touristiques, familiales et d'affaires en évitant que l'obtention d'un visa de court séjour aboutisse à un maintien durable sur le territoire et suivre sur la durée, consulat par consulat, le taux de personnes éloignées du territoire national ayant bénéficié d'un visa afin d'orienter les moyens vers les pays à risque et de définir une politique d'attribution des visas en fonction des risques migratoires de chaque pays. Autre problème soulevé par le rapport : la corruption dans les consulats. “Les agents des consulats font preuve d'un dévouement remarquable, mais il est visiblement difficile d'éviter des cas de déviance individuelle. Cette corruption peut toucher, selon les cas, des titulaires (Kiev), des recrutés locaux du pays d'accueil (Madagascar, Istanbul...) ou de nationalité française (Moscou). Les moyens d'action sont multiples : accès au système informatique, non-vérification volontaire de faux documents, vol de vignettes visas (Pointe-Noire). Les agents exigeant de l'argent en échange de leur action ne sont pas tous nécessairement en mesure d'avoir un impact sur la décision. Dans ce cas, ils sont souvent dénoncés par un client mécontent. Un vol de ‘vignettes' conduit, par ailleurs, rarement à une entrée sur le territoire, le titulaire de la vignette dérobée étant susceptible d'être arrêté à la frontière. Il est malheureusement difficile pour les consulats de prévenir de tels agissements, et même de détecter les actes de corruption, repérés le plus souvent par des dénonciations externes. Ils interviennent plus facilement lorsque le consulat est ‘désorganisé', dans le cas par exemple d'une rotation trop importante de personnel. Ils peuvent être le fait d'agents donnant a priori toute satisfaction. Ils sont heureusement souvent cantonnés à une personne, sauf au consulat général de France à Moscou où une affaire de corruption a éclaboussé, à l'été 2006, plusieurs agents, qui accéléraient les procédures contre une rétribution financière”. Y. S.