Le pays d'Atatürk est sous la menace d'un Printemps kurde…alors que les islamistes arabes donnaient sa démocratie version AKP comme leur modèle. Sérieuses inquiétudes en Turquie dont le modèle de démocratie islamiste a fasciné les islamistes du monde arabe. D'abords, le pays d'Atatürk est lui aussi sous menace d'un printemps, un “Printemps kurde” avec les manifestations de près de deux millions de Kurdes pour les célébrations de Newroz, le nouvel an kurde. La moitié rien que dans leur principale ville de Diyarbakir. Et pour ne pas arranger la situation, l'atmosphère à Ankara n'est plus la même. Après une troisième victoire d'affilée aux législatives, le parti islamiste donne la nette impression de s'essouffler alors que tout le monde, en Turquie et à l'étranger, pensait que l'AKP avait atteint la vitesse de croisière pour un non-retour. Recep Tayyip Erdogan, pensait-on à Ankara, était sur la même voie que Poutine de la Russie voisine. C'est-à-dire, l'opposition au Premier ministre turc est certes réelle mais pas au point de le menacer. Mais, aujourd'hui, à Ankara, on s'interroge sur l'avenir politique du pays. Certains observateurs vont jusqu'à prévenir contre un vide politique. Dans les rangs de l'AKP, une coalition composée de nationalistes, d'islamistes et de libéraux, la perspective fait peur. Tenu d'une main de fer par Erdogan, comme Poutine tient sa “Russie d'aujourd'hui”, cet attelage a apporté une stabilité à la Turquie qui a souffert par le passé des coalitions stériles. La question sur toutes les lèvres en Turquie : l'AKP évitera-t-il l'implosion sans l'autorité de son chef ? En tout cas, depuis trois mois, la discorde règne au sein du gouvernement et de l'Etat. La presse d'Istanbul va de son train de rumeurs, spéculations et supputations : une compétition sérieuse opposerait Erdogan à Abdullah Gül, le président de la République ! Les deux hommes, fondateurs du parti, ont pourtant longtemps fonctionné en tandem. Un peu comme Poutine et Medvedev qui vont échanger leurs chaises ces jours-ci : le premier retourne au Kremlin tandis que le second récupère la primature. Gül lui ne veut pas se prêter au jeu des chaises musicales. La prochaine élection présidentielle est programmée en 2014, Gül ne veut pas céder son fauteuil à Erdogan. Il serait tenté de créer son propre parti avec des députés de l'AKP frondeurs. Tout ce micmac est intervenu pendant la convalescence du Premier ministre après une intervention chirurgicale de l'intestin fin novembre. Erdogan a fait savoir qu'il ne souffrait d'aucune maladie, bulletin de santé à l'appui avant de s'en remettre à l'autorité divine, pensant clore la question qui taraude la Turquie depuis qu'il a subi une opération : l'AKP implosera-t-il ? Le parti islamiste s'est en effet bâti et fortifié autour de son homme providentiel, Erdogan. Il reste que le Premier ministre est beaucoup moins présent sur la scène intérieure et internationale. Il a tout récemment annulé une visite prévue en Allemagne où devait lui être remis un prix pour 50 ans d'amitié germano-turque qui avait permis l'arrivée de centaines de milliers de Turcs venus travailler dans ce pays. Son séjour dans le bassin industriel de la Ruhr où vit une importante communauté immigrée turque, a été annulé officiellement en raison de la mort, la veille, de 12 soldats turcs dans le crash d'un hélicoptère en Afghanistan. Les associations de défense des droits de l'homme avaient vivement protesté contre l'attribution du “prix de la tolérance et de l'humanisme” à Erdogan. Aujourd'hui, près de 3 millions de Turcs ou de personnes d'origine turque vivent en Allemagne. Pour revenir, aux Kurdes de Turquie, il faut savoir que le gouvernement d'Ankara est sur ses dents depuis le 18 mars, début des fêtes de Newroz, transformé par les Kurdes en jour de la renaissance et de la résistance. Quelque 130 rassemblements ont été organisés à travers le pays rien que pour accueillir la plus grande célébration du Newroz de tous les temps. Aucune force ne pourra arrêter la marche du peuple, avait prévenu le BDP, affirmant que l'interdiction du gouvernement n'était pas légitime. L'APK est ainsi pris en flagrant mensonge quant à la construction par lui d'un Etat des droits de l'homme. Défiant interdictions, menaces et répressions, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues de Diyarbakir, chef-lieu du Kurdistan de Turquie, et d'Istanbul. Un responsable du parti kurde est décédé après avoir été touché par une grenade lacrymogène lancée par la police et plusieurs personnes ont été blessées dont deux grièvement et une députée BDP, Mulkiye Birtane. La police de la démocratie islamiste a procédé également à des arrestations massives. L'AKP a réagi comme à l'époque des militaires faiseurs de rois. Plus de 6 500 membres actifs du BDP dont 31 maires sur 98 et six députés sur 36 sont actuellement en prison dans le cadre de cette affaire. Avec l'incarcération de 101 journalistes, la Turquie est également la plus grande prison du monde pour les journalistes. Voilà le vrai visage de la démocratie islamique que mêmes les islamistes de chez nous érigent en modèle. D. B