La crémation est l'ultime option des morgues britanniques quand elles n'arrivent pas à confirmer l'identité des personnes décédées. La mort arrive toujours par surprise. Elle est plus cruelle quand celui qu'elle emporte est séparé des siens et doit être enterré dans un cimetière étranger, loin, très loin de la terre qui l'a vu naître. Sans la mobilisation de leurs compatriotes, beaucoup d'Algériens de Londres auraient pu connaître une fin aussi triste. Il y a un an et demi a peu près, Mohamed, appelons-le ainsi, était retrouvé mort dans son petit studio à Stock Newington, dans le nord de la capitale britannique. Des voisins ont découvert son corps sans vie, plusieurs jours après avoir été foudroyé par une crise cardiaque. Les résidents de son quartier savaient peu de choses de lui. Mohamed rasait les murs et parlait très peu. Il se contentait de saluer les gens qu'il croisait et ne fréquentait pratiquement personne. Comme beaucoup d'Algériens sans papiers, il passait l'essentiel de son temps à Finsbury Park, the little Algiers, où il pouvait rencontrer des compatriotes. C'est grâce à l'un d'eux d'ailleurs, le seul qui avait l'habitude de lui rendre visite dans son appartement, que sa dépouille a évité d'être incinérée et a été par la suite rapatriée. La crémation constituait l'ultime option des autorités mortuaires, incapables après plusieurs jours d'établir l'identité du défunt. Dans son appartement, il n'y avait point de papiers, pas de permis de conduire et encore moins un passeport. Comme tous les clandestins, Mohamed a dû certainement détruire son document de voyage pour éviter, en cas d'arrestation par la police, d'être renvoyé en Algérie. Pendant 20 ans, il a vécu sous un nom et une nationalité d'emprunt. Il a fait des petits boulots et a attendu vainement la régularisation de sa situation. Son ami, celui grâce à qui il a pu être identifié, pense que la solitude et le désespoir l'ont tué. Pour permettre à Mohamed de reposer en paix, il s'est précipité au consulat algérien afin de confirmer sa filiation. Par la suite, il s'est employé à mobiliser des compatriotes, pour financer son “dernier voyage” à Oran, sa ville natale. C'est là-bas qu'il a été enterré, en présence des proches qui ne l'ont pas vu depuis si longtemps. Mohamed avait 30 ans quand il avait quitté l'Algérie. L'été dernier, un autre compatriote, plus jeune, est également rentré au pays... dans un cercueil. Il était aussi sans papiers et moisissait de son vivant dans les quartiers misérables de la périphérie de Londres. Un jour, il a atterri à l'hôpital car sa poitrine le faisait souffrir. Des examens médicaux ont révélé un cancer dont il n'a jamais soupçonné la présence, pis... qu'il n'était pas en mesure de soigner. Son statut de sans-papier l'avait exclu de toute prise en charge médicale. Le cancer l'a finalement terrassé. Le rapatriement de sa dépouille a été financé par un seul bienfaiteur qui a gardé l'anonymat. S. L-K.