Liberté : à quoi attribuer le manque d'investissement industriel en Algérie ? Rédha Amrani : Il y a des facteurs macroéconomiques, d'autres microéconomiques et enfin l'informel. Il y a donc trois éléments qu'il faut analyser pour donner des voies de solutions. Il y a l'incompétence, dans la mesure où il n'y a pas de vision et pas de moyens réalistes à mettre en œuvre pour amorcer le sursaut, surtout que la désindustrialisation a été totale et catastrophique. Il y a les lobbys de l'importation qui sont très puissants. Cette installation dans l'informel est plutôt du pillage économique. Cela dit, il faut essayer de trouver des voies de sortie et de relance tout en sachant que la réindustrialisation du pays, le développement industriel, l'investissement dans tous les domaines, pas seulement dans les équipements, dans la formation, dans l'engineering, dans la communication. Mais ces investissements vont remettre en cause énormément d'intérêts, et la plupart sont des intérêts sordides. C'est presque un document doctrinaire qu'il faut essayer d'établir. C'est pour cela que c'est complexe. Il faut que toute la société bouge. De par son fonctionnement, ne pensez-vous pas que le Conseil national de l'investissement (CNI) grève l'investissement ? Si la réglementation pouvait nous sortir du sous-développement, cela ferait longtemps que nous en serions sortis. À un problème de fond et très large, très complexe mais aussi très simple à lire et à voir, on donne des réponses juridiques. Non. Le juridisme est une chose, le passage à l'action, l'élaboration de stratégies et de moyens de mise en œuvre d'instruments d'action, c'est autre chose. Tous ces instruments qui ont été mis en place servent à continuer l'économie de pillage. Le CNI, c'est un centre d'information et de blocage. Autrement, on aurait déjà construit deux ou trois usines sidérurgiques, une usine d'aluminium. On aurait repris la gazo-chimie, la pétrochimie et on aurait aussi permis aux véritables entrepreneurs algériens de se lancer et de réaliser. Dans ce sens, on constate que des autorisations sont accordées aux Qataris et aux Turcs, mais les projets nationaux sont bloqués... Si on fait une analyse de ces investisseurs, on remarque que leur activité industrielle productive représente moins de 5% de leur chiffre d'affaires. Ils ont des soi-disant industries. C'est cela la réalité. Et là, il faut revenir à un véritable développement des activités productives, même si ce n'est pas facile. Il y a l'informel et les lobbys de l'importation. Ils sont très puissants. Ils gèrent tout. Ils gèrent l'assemblée. Il n'y a qu'à voir la bataille qu'il y a pour être député pour faire des lois qui permettent à l'économie de pillage de continuer, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de pétrole. C'est très dur de le dire, mais c'est cela la réalité. Quel commentaire faites-vous à propos de l'échec de la privatisation d'El-Hadjar ? On peut parler de l'échec d'El-Hadjar, on peut parler de l'échec de la pétrochimie. à l'époque, quand ils ont signé avec Orascom, j'ai dit que c'était du vol. On prend la rente d'hydrocarbures de l'Algérie et les ressources de nos banques et on les donne aux égyptiens qui ne ramènent rien et qui ne sont pas spécialisés dans la chose. En plus, ils créent une société off-shore de commercialisation à qui ils vendent au prix de production. Même en termes de fiscalité, ils nous arnaquent. Ça, c'est l'œuvre des lobbys. En fait, il n'y a pas qu'El-Hadjar. Même la gestion des hydrocarbures, c'est une gestion sans contrainte budgétaire. Il y a des milliards de dollars d'investissement dont moins de 5% seulement retombent dans l'activité productive et d'études en Algérie. C'est fait de façon ouverte. Les usines de fabrication des biens d'équipements pour la pétrochimie, gazo-chimie ont toutes été fermées, après que Sonatrach en soit devenue actionnaire. Avant on était au même niveau de l'Iran, on se retrouve maintenant avec trente années de retard. Et cela est dû à Sonatrach. Il faut parler de cela aussi. S. S.