“Des journalistes, en quête d'original, de singularité, de vie sauvage, d'exotisme, à offrir en loisir, aux consommateurs européens, investissent la Kabylie pour fixer sur leurs pellicules les derniers instants d'une civilisation en déclin”, dit le personnage de Yamina dans ce roman palpitant et intense. Longue expression cathartique d'une intense amertume, le roman, les Derniers Kabyles, de Rachid Oulebsir, aussi passionnant, absorbant qu'émouvant par séquences, est également un soupir de pénible mais stoïque résignation…le “sanglot de la déconvenue”. “Ce premier roman relate les pérégrinations d'un intellectuel qui renonce au confort citadin pour vivre les derniers instants de la société kabyle en perte de repères”, est-il écrit en quatrième de couverture du roman. Sur celle-ci encore, l'auteur, par le biais de ses protagonistes, s'interroge : “Être Kabyle, aujourd'hui, c'est quoi ? Qu'est-ce qui fait que nous sommes encore nous et différents des autres ?”, questionne Fadhma la tisserande… “Notre sève coule dans l'égout de la fausse modernité !”, répond Aïcha Varzaq. “L'Orient et l'Occident se disputent les oripeaux de notre burnous ! Le pays changera de propriétaires, a dit Si Mohand-Ou-M'hend”, affirme Adada. Le personnage principal dans ce roman, en fait, est en retrait, (il s'agit de l'auteur lui-même, ce livre étant quelque peu autobiographique, avoue Rachid Oulebsir), et ce sont les Fadhma, Aïcha, Adada et autres qui ont pour mission de dire, maudire et… prédire. “Adada est la porteuse et dépositaire de la mémoire locale, de toute la mythologie et la cosmogonie de la société kabyle, tandis que Aïcha, c'est la révoltée, elle qui a mesuré et comprend l'impact de la fausse modernité, cette dernière s'exprimant par le retour, notamment, des émigrés en période estivale, avec leurs gadgets et leurs euros, perturbateurs d'une certaine sérénité ! Tel ce mariage des émigrés, déployant l'affreuse sono, les décibels pour supplanter ‘Ourar', la naïve, l'ancestrale et magnifique chorale féminine !”, nous dit l'auteur. Il cloue au pilori et fustige sans ambages certains émigrés et leurs comportements dévastateurs. À la question de savoir s'il a été inspiré par le titre de l'ouvrage -devenu expression-, le Dernier des Mohicans, Rachid Oulebsir acquiesce immédiatement, en confiant : “Au bled, justement, pour taquiner un proche parent, les amis le surnomment Aneggaru g'Mouhichane”. Pure coïncidence phonétique ou matière à recherche ethnolinguistique ? Toujours est-il qu'il se trouve que “Mohichane” est un patronyme. Rachid Oulebsir est-il, enfin, à ce point pessimiste ? Il s'agirait d'un pessimisme méthodique. “Oui, je suis pessimiste mais je laisse des interstices d'espérance”, répond Rachid Oulebsir. M B Du même auteur : L'olivier en Kabylie, entre mythes et réalités(Juillet 2008, L'Harmathan) Le rêve des momies, roman, (mars 2011,