Le pouvoir et le FLN ont tort de se réjouir aussi prématurément et de croire qu'ils viennent de gagner la partie qui les oppose au désaveu des citoyens. Désormais, ils ne pourront plus continuer à gouverner le pays dans le tranquille ronron habituel, au moins parce que l'apparente victoire acquise grâce aux dernières élections législatives cache mal la désaffection de la grande majorité de la population en âge de voter, plus particulièrement celle des jeunes. Est-il besoin, en effet, de souligner que moins de 20% des 21 millions et des… des personnes inscrites sur le fichier électoral ont donné leur voix au FLN ? De majorité, sans doute, il n'y en à point, de plébiscite encore moins. Mais c'est moins l'arithmétique électorale qui discrédite le pouvoir-FLN que la pratique usuelle de la fraude — car il est difficile d'imaginer un instant qu'elle n'a pas, cette fois-ci, eu lieu — et son mode de gestion des affaires de l'Etat. Une gouvernance désastreuse qui a occasionné des dégâts considérables à l'économie de la nation et plus généralement à la société. Chaque citoyen peut aisément en juger. Des lois de finances annuelles inopérantes et des programmes présidentiels “concoctés” dans le seul but d'acheter la paix sociale et de dissimuler le désespoir qui s'est emparé du peuple. Une jeunesse — la vitalité de la nation — livrée à un chômage endémique avec les périls nombreux auxquels ce fléau l'expose : l'émigration clandestine (la harga), le refuge dans les drogues, le suicide, l'émeute ou encore le terrorisme ; une corruption généralisée qui gangrène la quasi-totalité des institutions du pays et contre laquelle il n'y a manifestement aucune volonté de lutter ; un système de santé obsolète, aux nombreux ratages, avec les pénuries des médicaments que nous lui connaissons et les conflits chroniques qui, encore à ce jour, opposent, à leur tutelle, les personnels de santé ; une insécurité permanente et des enlèvements récurrents de personnes, une situation qui dévitalise — parce que la plus concernée — la wilaya de Tizi Ouzou et qui éloigne toute possibilité de son développement ; de graves atteintes à l'environnement, notamment en Kabylie, qui altèrent la qualité de vie dans cette région du pays et compromettent toute idée de promotion du tourisme, sa vocation naturelle. Autant de sujets cruciaux auxquels les pouvoirs publics semblent donner le dos. Les responsables algériens sont autistes et imperméables au désespoir du citoyen. Ils sont inhumainement insensibles aux appels de détresse d'une population paupérisée qui patauge dans des difficultés chroniques et qui subit l'indignité dans laquelle l'humiliation quotidienne la fait macérer. Des responsables qui se sont résolument retranchés derrière de fausses solutions pour régler les vrais problèmes qui se posent avec acuité au pays et qui gèrent les affaires publiques en privilégiant le paternalisme et en infantilisant le peuple par des propositions de réponses inadaptées à la situation. Des artifices qui engloutissent annuellement des budgets colossaux dans la mise en place de dispositifs d'assistance sociale et de clientélisation du citoyen. Une gouvernance oublieuse des impératifs du développement et de la nécessité de bâtir une économie — qui met au centre de ses préoccupations la ressource humaine —, génératrice d'emplois et créatrice de richesses, tournant ainsi le dos à la seule vraie alternative pour sortir le pays de la dépendance aux hydrocarbures. Une erreur stratégique grave, une menace qui pèse sur l'avenir économique et social du pays. Depuis plus d'une dizaine d'années, la vie semble s'être figée en Algérie. Un gouvernement inamovible, pourtant décrié, et des programmes présidentiels qui se suivent et se ressemblent sans qu'ils aient un réel impact positif sur le destin des citoyens. Seule la misère ne s'est pas arrêtée de galoper ; elle a continué de progresser et d'envahir les foyers. Une cruelle réalité dont sont témoins les nombreux “mouvements d'humeur” observés quotidiennement dans notre pays. Emeutes répétées, grèves, marches, manifestations en tous genres, etc. Les signes d'un mécontentement généralisé qui a gagné tous les pans de la société. Des soubresauts ignorés par les décideurs, quand ils ne sont pas carrément objet de manipulation ou de répression. Un peuple malmené par des conditions d'existence avilissantes imposées par une gestion hasardeuse des affaires publiques et une gouvernance où l'injustice le dispute à l'incompétence et à l'incurie. Le résultat ? Une société angoissée qui se défait parce que ses mécanismes élémentaires de régulation se déconstruisent de façon progressive et irrémédiable. Le risque ? La chute des interdits qui fondent l'ordre social et la menace de l'installation définitive d'une situation d'anomie avec la violence qui lui est consubstantielle. Un péril potentiel pour le pays. Aujourd'hui, le pouvoir a, à n'en pas douter, pris conscience des risques qu'une telle situation fait peser sur l'avenir de notre pays mais il a également peur pour sa survie. Les révoltes qui ont secoué nos voisins ont donné à réfléchir… mais n'est-il pas déjà trop tard ? Dresser l'épouvantail de l'ennemi extérieur pour “titiller” la fibre nationaliste de l'Algérien et fuir en avant dans des élections législatives supposées transparentes et sans fraude n'y feront rien. Parce que personne n'y croit, ces solutions ne feront que différer l'explosion sociale qui remettra tout en cause, à commencer par les privilèges énormes dont bénéficient ceux qui dirigent le pays depuis l'Indépendance. Ce qui est survenu dans les autocraties arabes ne peut pas, dans un futur proche, ne pas concerner l'Algérie. Tous les ingrédients sont réunis pour y parvenir et, n'était la miraculeuse aisance financière actuelle due au renchérissement du prix des hydrocarbures et le souvenir traumatisant de la violence terroriste et des années de sang, la lame de fond du mécontentement aurait depuis longtemps emporté le régime qui nous dirige et balayé, avec, la caste privilégiée qui vit ostensiblement aux dépens d'une population de plus en plus indigente. De plus, l'environnement économique international n'est, présentement, pas réjouissant. La crise qui s'est emparée de l'espace européen menace l'ensemble de la planète. Un crash financier international et un effondrement des prix du gaz et du pétrole ne sont pas à écarter. Les 200 milliards de dollars, que les décideurs de ce pays ont thésaurisés dans des banques américaines, n'y feront rien. L'explosion populaire — quand elle adviendra — remettra, alors, en cause jusqu'à l'existence même de la nation algérienne. Au mieux, l'Algérie vivra l'instabilité qui prévaut en Tunisie ou en Egypte, au pire elle fera les expériences dramatiques de la Lybie ou de la Syrie. Les citoyens algériens veulent leur part des richesses du pays. Ils veulent aussi plus de considération, plus de démocratie et de liberté. Des revendications humaines et politiques légitimes et des droits constitutionnels que le pouvoir feint d'ignorer. Au lieu de réduire les convulsions sociales récurrentes à de simples jacqueries de la faim, ce dernier (le pouvoir) devrait comprendre ces émeutes comme un désir profond de recouvrer une dignité malmenée, et en prendre acte. Dans tous les cas, il faudra bien, un jour très prochain, entendre cette demande et la satisfaire. Une demande qui est plus que jamais d'actualité et que le pouvoir-FLN sorti vainqueur (?) des dernières élections ne pourra pas solutionner s'il persiste dans la fuite en avant qu'il a entamée au lendemain de l'Indépendance de la patrie. La pauvreté et la misère dans lesquelles vivent nos concitoyens — un demi-siècle après la libération de notre pays — n'ont aucune justification et l'indignité qui leur est infligée est inacceptable. L'Algérie est une nation riche, très riche, qui sommeille sur des réserves financières que beaucoup de pays, même parmi les plus développés, peuvent nous envier. Une richesse pourtant sans prospérité parce qu'elle ne profite pas à tous. Il y a trop d'injustice et de privations. Le peuple est depuis trop longtemps bâillonné. Il lui est interdit de s'exprimer et est toujours spolié de sa liberté. Les jeunes sont marginalisés et exclus de la construction de leur destin personnel, et de celui de leur pays, par une gérontocratie qui légitime sa mainmise sur l'Algérie par le truchement d'une supposée appartenance à la famille révolutionnaire et qui ignore que 80 à 85% de la population algérienne sont nés après l'Indépendance. Nos jeunes concitoyens ne veulent plus être les otages des étiquettes politiques, des querelles idéologiques et partisanes. Ils attendent, en vain, des pouvoirs publics mais aussi des acteurs politiques de l'opposition des réponses concrètes à leurs préoccupations quotidiennes. Voilà pourquoi les citoyens sont désabusés et qu'ils manifestent de la circonspection et du scepticisme face à toutes les promesses de changement qui leur sont données. Tout est, pour eux, mensonge. Plus personne n'est digne de confiance. Voilà également pourquoi ils se détournent des affaires de la cité et qu'ils ont la certitude que le changement ne viendra ni de l'engagement politique ni des urnes mais que la révolution se fera dans et par la rue. Voilà pourquoi, enfin, majoritairement ils se sont détournés des dernières élections — de toutes les élections — et qu'ils ne sont pas allés, une fois de plus, voter. Aujourd'hui, les Algériens ne sont pas heureux dans leur pays. Ils ne l'aiment plus. Un constat sans appel que l'on ne rappellera jamais assez parce qu'un tel état d'esprit érode irrémédiablement le sentiment patriotique et est, par conséquent, porteur de péril pour la pérennité de la nation. Le véritable souci. Il doit être présent à l'esprit de tous les citoyens et constituer une préoccupation permanente des hommes politiques de notre pays. Ces derniers, en particulier ceux qui détiennent le pouvoir, seraient bien inspirés d'œuvrer — au-delà de toute considération idéologique — à restaurer dans leur dignité les personnes, notamment les jeunes, en leur redonnant l'initiative sur leur destin et en leur permettant de prendre une part active dans la décision politique et l'édification de l'avenir de leur pays. Faute de quoi, le péril se rapproche de la demeure. B. M. (*) Psychiatre