Les experts très au fait de la situation de la filière laitière estiment que l'Etat ne pourra plus continuer à subventionner le lait en sachet éternellement. Certes, maintenir le tarif de vente du lait pasteurisé d'un litre à 25 DA protège les consommateurs aux petites bourses mais dans le même temps n'arrange guère les affaires des producteurs dont le prix de revient équivaut au double. Tant que les cours du pétrole se situent à des niveaux élevés, le problème de financement des subventions ne se pose pas. Or, rien ne dit que les prix de l'or noir, aussi hauts soient-ils actuellement, ne subissent pas une chute libre à l'avenir. C'est sur cette éventualité d'ailleurs qu'acteurs et observateurs de cette filière attirent l'attention des pouvoirs publics. L'Algérie se prélasse sur son très confortable matelas en devises qui lui offre la possibilité voire l'aisance nécessaire pour garantir ce lait pasteurisé et conditionné (LPC) à l'ensemble de la population. La volonté du maintien de ce prix administré à 25 DA oblige notre pays à assurer des subventions à tout-va, dédiées à l'ensemble des maillons de la chaîne de production. Ce qui représente plus de 50% du prix pratiqué par les commerçants. L'Algérie, faut-il le souligner, est le seul pays au monde qui perpétue ce soutien pour le lait. Cependant le geste de l'Etat envers les couches les plus nécessiteuses profite également à d'autres catégories de consommateurs plus aisées. Pis, cette aide étatique fait l'objet d'un détournement massif de la part des intervenants dans la filière pour des intérêts personnels. Les aides sont réparties à raison de 12 DA/litre au profit des éleveurs, 5 DA/litre pour la collecte, la production du LPC apporte 4 DA/litre aux laiteries. Si celles-ci utilisent le lait cru, elles bénéficieront d'une subvention de 6 DA/litre. À cela, il y a lieu d'ajouter les aides pour les intrants et les équipements, les différentes exonérations des taxes… qui ont touché quelque 26 000 éleveurs. Mieux, plus de 147 000 tonnes de poudre de lait ont été distribuées dont 67 000 tonnes seulement pour les unités publiques. Cette action a permis une production de 1,4 milliard de litres en 2011 pour une valeur de 11 milliards de DA. Le reste, soit 80 000 tonnes, a été attribué au secteur privé. Nos voisins s'offrent le lait subventionné algérien Toute cette batterie de mesures coûte à l'Etat des centaines de milliards de DA. “Ces enveloppes financières, toutefois, ne suffisent plus à améliorer le rendement de la filière”, avouent les experts qui ont animé, hier, une conférence en prévision du symposium international du lait et process, prévu les samedi et dimanche prochains en marge du Salon international de l'élevage, du machinisme et de l'agroalimentaire (Sipsa Agrofood) dont la 12e édition sera inaugurée samedi. Pour ces consultants, l'indépendance de la filière des marchés internationaux passe impérativement par une réorganisation des éleveurs, des structures et autres organismes concernés. Pour eux, ces aides doivent être contrôlées et leur destination suivie. Cette mission devrait échoir au Comité interprofessionnel national et régional ainsi qu'aux autres organismes tels que l'Office national du lait (Onil). Ils se sont attardés sur le contrôle et le suivi car ils assistent quotidiennement à des irrégularités qui entachent l'évolution de la filière. Une bonne part de cette poudre approvisionnée est commercialisée par certaines laiteries indélicates sur le marché à prix double. Une autre part est revendue aux crémeries. C'est dire que des quantités considérables de lait pasteurisé sont transposées vers le marché informel, espace de prédilection de la contrebande. Résultats des courses : les pays voisins disposent du lait pour leurs populations respectives avec zéro investissement… Ce qui est intolérable, c'est de voir ces sachets de lait, au prix administré, servir de nourriture à des agneaux ! À 25 DA, le LPC demeure trois ou quatre fois moins cher que le lait industriel dédié à l'allaitement des agneaux. D'où ce choix incongru des éleveurs. En dépit de toute cette assistance étatique, les opérateurs continuent de fabriquer un lait de qualité médiocre avec une composition excessive en quantité d'eau injectée ou moindre en matières grasses et protéines. Le lait pasteurisé en sachet pour les agneaux ! D'autres éleveurs font de fausses déclarations en termes de nombre de vaches en leur possession et de quantités de lait produites… Devant pareille situation, des experts posent la légitime question de savoir si l'Etat ne gagnerait pas à supprimer certaines subventions sur quelques maillons de la chaÎne pour peu qu'il assure une compensation sociale aux citoyens les plus pauvres ? À titre d'exemple, l'on peut arrêter le soutien prévu pour la poudre de lait et encourager davantage l'utilisation du lait cru. La “bataille pour réduire la dépendance de l'étranger”, à laquelle appellent ces experts, pourrait commencer d'ores et déjà par cette étape. Des opérateurs économiques avouent aussi qu'il est plus opportun de prendre en charge les aspects sociaux de cette frange de la population que de continuer à subventionner les produits dits stratégiques. D'autres plaident carrément pour l'abandon de ce soutien et laisser les prix libres réguler le marché. Une chose est sûre, l'Etat doit se préparer dès à présent pour trouver des solutions qui lui permettront de faire face à des éventuelles baisses des cours du brut à l'avenir. Car, si par malheur cette appréhension finit par s'imposer, les pouvoirs publics seront dans l'obligation de revoir à la baisse leur soutien. Par conséquent, la filière lait vivra les pires moments de sa vie… B K