Fait inédit : les services de sécurité sont, cette année, appelés en renfort pour prévenir les détournements et autres irrégularités. Aujourd'hui encore, nombre d'Algériens portent un regard dubitatif et soupçonneux sur la charité gouvernementale. Trop souvent éclaboussée par des scandales, cette dernière a fini par revêtir un aspect purement démagogique. Qu'on se souvienne ! Au lendemain des inondations dramatiques de Bab El-Oued, la rumeur puis des faits navrants ont levé le voile sur divers petits trafics qui ont discrédité l'élan de solidarité nationale et internationale avec les victimes de la catastrophe. “Où sont les dons ?”, se sont élevées alors de nombreuses voix. À chaque rentrée scolaire, personnels d'école et de mairie sont les premiers servis au détriment de milliers d'écoliers démunis. Durant le mois de ramadhan, traditionnellement, l'image peu reluisante de ces autres agents, subtilisant des couffins qu'ils étaient chargés de distribuer cingle les consciences. À qui la faute ? D'aucuns ont de tout temps mis en avant le laxisme des autorités, les complicités aux différents échelons de l'administration et les passe-droits. Si bien que du montant faramineux des enveloppes financières allouées aux opérations de solidarité, rien ou presque ne parvient aux véritables bénéficiaires. À la place du couffin bien garni qu'on leur fait miroiter, les sans-le-sou reçoivent souvent en guise de don un modique kit de survie qui leur permet à peine de rompre le jeûne sans pour autant rassasier leur faim. Un scandale ! Un véritable scandale qui a enfin contraint les pouvoirs publics à réagir. Plus de rigueur et de vigilance, tel est le principal slogan de l'opération solidarité ramadhan, cette année. Inspirées par le précédent du tragique novembre 2001, durant lequel les convois des vivres, très convoités, étaient escortés par les services de sécurité, les autorités se sont, depuis, résolues à la nécessité d'appeler la police en renfort afin de prévenir d'éventuels détournements. C'est ainsi que des représentants de la Sûreté nationale composent avec les délégués de divers autres organismes les 48 commissions de wilaya chargées de la gestion de l'aide et de sa distribution. “Aucun écart n'est permis”, assure M. Bouchenak Khelladi Abdellah, directeur du mouvement associatif et de la communication au ministère de la Solidarité nationale. Nommé en tant que superviseur principal de cette opération, notre interlocuteur affirme que toutes les dispositions ont été prises afin que les vrais nécessiteux benéficient de la générosité de l'Etat. Première mesure inédite : contrairement aux années précédentes où plusieurs départements ministériels, les assemblées communales, des organismes comme le Croissant-Rouge et des associations privées de bienfaisance menaient chacun leur propre opération de charité, pour le ramadhan 2002, tous sont réunis sous la coupe du ministère de la Solidarité, désigné officiellement par le gouvernement comme l'entité fédératrice de tous les efforts dévolus et une super-unité de contrôle. “C'est toute l'opération qui a été, en fait, centralisée dans le but unique de la rendre plus efficace et transparente”, précise M. Bouchenak. Dans l'une des recommandations de la commission nationale qu'il préside, cette dernière résolution est nettement mise en avant. “Le citoyen doit percevoir le sérieux de la préparation et de la mise en place de l'opération. Ce qui contribuera à la prise de conscience citoyenne et à l'implication de l'ensemble des acteurs concernés. La confiance et la crédibilité envers les institutions de l'Etat ne pouvant, par ailleurs, être obtenues que par la transparence et la rigueur dans la gestion qualitative de la restauration et de la distribution des denrées alimentaires”, lit-on dans un document du ministère de la Solidarité. À cet égard, la démarche préliminaire, entamée en août dernier, a abouti à la création de la commission nationale susmentionnée certes mais également à son clonage dans toutes les wilayas du pays. Aussi, à l'instar du QG siégeant au département de la Solidarité, les sous-commissions se distinguent par une composante similaire. Mises sous autorité du wali, elles sont présidées par le Directeur de l'assistance sociale (DAS) et regroupent les premiers responsables des directions locales de la santé, de la concurrence et des prix, des affaires religieuses, des douanes, de la Protection civile ainsi que des représentants de l'Union générale des commerçants, du comité local du Croissant-Rouge, des scouts musulmans… et du fameux délégué de la sûreté de wilaya. Quotidiennement, ces commissions sont dans l'obligation de transmettre au QG d'Alger une sorte de BRQ, en fait un rapport détaillé sur les opérations de restauration et de distribution des couffins. De tels rapports comprennent le nombre de repas et de denrées servis, leur nature, leur coût et les effectifs mobilisés. “C'est indispensable pour suivre le déroulement de l'opération au jour le jour, évaluer les besoins et les satisfaire au fur et à mesure”, soutient-il. À ce sujet, il est à signaler que 50 milliards de centimes ont été alloués par l'Etat à cette opération de solidarité. “Fort probablement, cette somme sera renforcée dans les prochains jours”, révèle notre interlocuteur. En attendant, lui et ses adjoints veillent à ce que le montant initial soit utilisé à bon escient. Contrôle, vigilance, responsabilité collective… une instruction vient même d'être signée par le ministre de la Solidarité faisant encourir de graves sanctions aux employés qui se risqueraient à se servir dans les couffins destinés aux démunis. “Si quelqu'un est pris la main dans le sac, même le directeur de la DAS est passible de sanctions”, dit encore M. Bouchenak. Cependant, ce dernier, somme toute réaliste, n'exclut pas quelques cas de vol. Ce serait trop beau… S. L.