“Non, reste là où tu es, j'arrive pour m'expliquer et régler des comptes avec eux.” C'est la substance du message du colonel Amirouche à son secrétaire particulier, Hamou Amirouche, envoyé à Tunis avec un groupe de moudjahidine pour ravitailler les maquis de l'intérieur en armements et munitions. IIntervenant lors d'une conférence organisée, vendredi à Montréal, par l'Association culturelle Assedikia-Québec (ACAQ), Hamou Amirouche, auteur du livre Akfadou, un an avec le colonel Amirouche, a évoqué des fragments d'histoire liés à la guerre de Libération nationale. Le conférencier raconte comment il a rejoint l'ALN alors qu'il était apprenti dans un centre de formation à Béjaïa ; une lettre expédiée au colonel suivie d'une rencontre fortuite avec ce dernier au village et le jeune Hamou se voit engagé dans la Révolution aux côtés du chef de la Wilaya III ; il est revenu dans le détail sur le parcours du colonel Amirouche qu'il qualifie de symbole, de héros hors du commun. "Quand j'ai reçu à Tunis la lettre de Si Amirouche, mes mains tremblaient", se souvient-il, lui qui a été révolté par le train de vie de la délégation embourgeoisée de Tunis, alors que les maquis de l'intérieur étaient pratiquement laminés, faisant sienne la célèbre expression du colonel Lotfi qui avait déclaré "ne plus vivre avec ces loups". Le chef de la Wilaya V a, d'ailleurs, trouvé la mort pratiquement dans les mêmes circonstances que Si El-Haouès et Amirouche. La mort de ces derniers évoquée dans son livre est le résultat d'une trahison. “J'ai évoqué la source de la trahison dans mon livre. Il y avait des indicateurs y compris dans la Wilaya III, qui regroupe 7 wilayas actuelles. Une chose est sûre : Amirouche a été vendu aux Français. Sinon, on ne peut pas expliquer un tel déploiement de l'armée coloniale, le nombre impressionnant de troupes mobilisées, plus de 3 000 soldats, l'armement lourd mis à contribution et ce, dans un petit périmètre du djebel Tameur. C'est la preuve qu'on avait signalé la présence du colonel", révèle l'orateur. Le groupe envoyé à Tunis par le chef de la Wilaya III avait été reçu durant une semaine par la délégation du GPRA, Krim Belkacem, Bentobal et Ferhat Abbas, après un périple infernal qui a duré 42 jours. Sur les 35 membres de la mission, seulement 12 ont survécu aux embuscades meurtrières de l'armée française. "Avant de publier la lettre que m'avait envoyée le colonel Amirouche, j'ai consulté trois personnalités : un ancien Chef de gouvernement, une grande personnalité politique et un historien, en l'occurrence Mohamed Harbi”, ajoute l'ancien secrétaire du chef des maquis de la Kabylie, qui s'est vu répondre par l'historien : “ou tu témoignes, ou tu verses dans l'idéologie.” Le conférencier a passé en revue nombre d'épisodes de la Révolution armée, comme “la bleuite”, suite à l'infiltration des maquis de l'ALN par une grosse manipulation du capitaine Léger. Hamou Amirouche se souvient encore de la lettre envoyée par le colonel au chef de la Zone autonome d'Alger, Yacef Saâdi, qui sera capturé deux jours plus tard. L'opération “Oiseau bleu” a été une réponse à la manipulation du capitaine Léger. Cette opération consistait en l'organisation de faux maquis. Revenant sur la séquestration des restes des deux colonels par Boumediene, Hamou Amirouche s'interroge si l'état actuel de la nation correspond à la vision d'Abane et d'Amirouche, dont le destin est symétrique. Par ailleurs, le lendemain à Ottawa, Hamou Amirouche a développé un peu plus le sujet à l'invitation de l'Association culturelle amazighe d'Ottawa-Hull (ACAOH). L'universitaire, qui a vu les maquis de la Kabylie brûler au napalm, a rappelé à l'assistance les propos emprunts de prophétie du colonel Amirouche : "Notre lutte est juste et elle triomphera ; le peuple reprendra son destin." À l'annonce de la mort du chef de la Wilaya III, Hamou Amirouche errait dans les rues de Tunis jusqu'au petit matin, où le maquisard accoucha d'un poème, lui qui n'a jamais versifié taqbaylit : “Non, Amirouche n'est pas mort !” Y. A.