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Louisa 57eme partie
Publié dans Liberté le 24 - 06 - 2012

Résumé : Un voyage au bled permettra à Louisa de se ressourcer et de recouvrer ses forces. Elle fera connaissance avec son premier neveu, Belaïd, et apprendra que Tassadite attendait un deuxième enfant. La jeune femme avait si peur de la réaction de son mari qui ne voulait plus d'enfants. Louisa la rassure. Après tout, Aïssa était le père légitime de ces enfants !
Mes beaux parents firent plusieurs voyages au bled, et à chacun de ses retours, Na Daouia, ma belle-mère, ne mâchait pas ses mots pour lancer à qui voulait l'entendre que Aïssa était bien chanceux... Ses fermes rendaient bien, sa femme se portait bien, et il avait deux garçons. Deux futurs hommes qui assureraient la prospérité des biens et de la famille, par contre Kamel...
Je faisais mine d'être indifférente à ses sous-entendus. Au fond, ses paroles me blessaient profondément. Je comprenais aussi sa réaction somme toute légitime. Na Daouia voulait voir les enfants de son fils ainé. Que pouvais-je faire face à mon sort et à notre destin ? J'ai bien tenté une fois de forcer les choses...
Mon mari n'aimait pas trop non plus les remarques acerbes et sarcastiques de sa mère. Plus d'une fois il avait eu maille avec elle sur ce sujet. Je me rappellerais surtout ce mois de Ramadhan où j'avais invité mes beaux-parents à venir jeûner avec nous. Malek, mon jeune beau-frère, passait les soirées en notre compagnie avec ses deux enfants et sa femme. Il avait déjà un petit garçon et une petite fille, et un troisième bébé était en route. Sophie ne chômait pas... Elle avait tout de suite compris l'esprit kabyle, et ne voulait point décevoir sa famille...
Je l'enviais, bien sûr. Les enfants étaient une bénédiction de Dieu. Je voulais moi aussi ma part... Mais cette part de bonheur m'a été refusée. Je me rabattais alors sur les enfants de Malek... Ces chers petits m'aimaient bien et je ne pouvais rester insensible à leurs babillages.
Mes propres neveux étaient loin. Je ne pouvais les voir souvent. En compensation à leur absence je me rabattais sur les magasins de vêtements pour enfants, et ne ratais aucune occasion de leur faire plaisir. Je m'étais découverte une véritable passion pour les tenues enfantines et les jouets.
Je faisais aussi de temps à autre du shopping avec les enfants de Malek. À chaque sortie, c'était pour eux la fête. Sophie me reprochait mes “folies", mais moi, si j'en faisais de ces folies, je les trouvais très douces.
Un soir donc, alors que la famille était réunie pour la veillée, Na Daouia se met à se lamenter sur le sort de Kamel... Le jeune frère avait déjà sa progéniture, par contre lui allait mourir sans descendance.
Mon mari se leva alors rouge de colère. Il avait compris l'allusion faite à son encontre et ne passa pas par quatre chemins pour remettre sa mère à sa place. Il ira jusqu'à m'attirer contre lui, comme pour me protéger des autres, et ne lésina sur aucun mot pour raconter notre dispute à ce sujet justement. Non... Non... il ne prendra jamais une autre femme... Il ne veut pas d'enfants... Et gare à celui qui osera encore reparler de ce sujet.
Offusquée, ma belle-mère se retira dans sa chambre. Depuis ce jour, elle ne reparla plus ni de femmes ni d'enfants pour son fils ainé mais elle ne ratait pas non plus l'occasion de me torturer. À chaque retour du bled, elle me tient le langage “codé" d'un rescapé de guerre qui tente de se venger de l'ennemi.
Je laisse alors le temps faire les choses. Ma belle-mère finissait toujours par se calmer, d'autant plus que parfois je la menaçais de tout raconter à mon mari.
Da L'Hocine, aussi effacé et aussi indifférent qu'il l'a toujours été, ne faisait que suivre ces scènes d'un air distant. Pour lui, les affaires de femmes ne le concernaient pas. Kamel ira jusqu'à me certifier d'un air amusé que même les affaires des hommes ne le concernaient pas. Seule Na Daouia affrontait toutes les situations.
Enfin, le temps finit par colmater les plaies. Ma belle-mère finira par battre en retraite devant mon mutisme et mon indifférence... Elle haussait les épaules à chaque fois qu'on lui posait la question sur l'avenir de notre couple, ou bien lançais des messages lourds de sens comme, par exemple, seule les bonnes poules de basses-cours pouvaient pondre régulièrement des œufs... Les autres, c'est-à-dire les sauvages, elles n'étaient là que pour le décor... !
En dehors de ces “scènes", je menais une vie paisible. Mon mari m'aimait, et on était heureux. Avec mes rendements quotidiens, nous pûmes faire face à nos dépenses et même mettre de l'argent de côté. Nous envisagions de construire plus tard une grande maison au bled. En attendant, nous avons pu nous permettre une voiture. Je voulais tellement faire plaisir à mon mari... Je voulais le voir heureux... Je savais qu'il rêvait de conduire son propre véhicule au lieu de prendre tous les matins le tramway pour se rendre à son travail.
Un jour que nous passions dans la rue, un de ses amis s'arrête à notre niveau pour nous saluer et nous inviter à monter dans son coupé... Kamel était sous le charme. Ce véhicule coûtait une fortune !
Bien sûr, je ne pouvais offrir un tel cadeau, mais je contribuais autant que je le pouvais à l'achat d'une voiture d'occasion, plus modeste mais assez robuste.
Kamel était heureux comme un enfant à qui on offrait un jouet. Il se met tout de suite au volant :
- Tu sais, Louisa... lorsque j'ai décroché mon permis de conduire, il y a des lunes de cela, je ne rêvais plus que de conduire mon propre véhicule. Tu exauces mon rêve le plus secret.
- Je n'exauce rien... Je ne fais que t'aider, et si cela peut te rendre heureux, c'est tant mieux.
Mon mari était très doué et très sérieux dans son travail. Ses employeurs et ses collègues l'estimaient bien...
Il avait donc toutes les latitudes pour réussir sa carrière. En quelques années, il avait grimpé les échelons du succès un à un. Depuis plus d'une année, il n'était plus à l'usine, mais dans l'administration comme chargé de mission. Kamel voyageait souvent, rencontrait des hommes d'affaires, négociait des marchés, proposait des produits...
En somme, c'était lui qui était chargé de toutes les tâches propres à la bonne image et à la bonne marche de l'entreprise.
(À suivre)
Y. H.


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