Plus de quatre-vingts ans après sa naissance, le mouvement des “Frères musulmans" vient de conquérir la présidence de la République d'Egypte. Mohammed Morsi, premier chef d'Etat islamiste du monde arabe, est aussi le premier président civil de l'Egypte depuis le coup d'Etat de 1952. Sur le fond, le régime n'aura rien de révolutionnaire si ce n'est qu'il est le résultat du libre choix des Egyptiens : depuis les indépendances, tous les régimes du monde dit “arabe" font reposer leur légitimité sur la volonté de Dieu, sur leur fonction religieuse et/ou sur leur mission révolutionnaire. Dans tous les cas, et avec un dosage variable d'un régime à l'autre, ils assurent leur stabilité par l'usage de la force de leur armée et de leur police et par l'instrumentalisation du nationalisme arabe et de l'islam. Le fait nouveau, avec le Printemps arabe, c'est qu'une force d'obédience théocratique est en passe de prendre le pouvoir dans les deux pays économiquement les moins autosuffisants et les plus dépendants de leur ouverture au tourisme international. En Tunisie, la transition est en cours ; en Egypte, c'est presque fait, presque parce qu'elle n'a plus l'Assemblée qu'elle a commencée par élire comme première institution de l'Egypte démocratique et n'a pas encore de Constitution. L'islamisme, s'il a toujours inspiré les dirigeants arabes, y compris les plus “modernistes" d'entre eux, entre pour la première fois dans le monde “arabe" comme doctrine d'Etat... et avec les implications programmatiques que cela appelle. Pour l'heure, le président Morsi peut bien arguer du prétexte ou de la réalité de ses rapports conflictuels avec le Haut-Conseil militaire, et avec l'armée en général, quand cette instance sera dissoute, pour contenir les impatiences de ses troupes. Mais celles-ci attendent désormais les signes d'une “islamisation" de la société pour laquelle elles activent depuis des décennies dans le contexte cruellement répressif du régime Moubarak. À terme, c'est peut-être la remise en cause des accords de paix avec Israël qui lui sera revendiquée. Mais un pays fortement endetté, encore plus endetté depuis le début de la révolution, pourra-t-il renoncer aux deux milliards de dollars d'aide américaine ? En tout état de cause, le président “frère musulman", même s'il choisit de tempérer les ardeurs réformistes de sa base, il ne voudrait se laisser déborder par les colonnes salafistes dont on a découvert l'influence avec les élections législatives. C'est donc entre une puissante armée qui n'a pas dit son dernier mot et un salafisme conquérant que les Frères musulmans inaugurent leur épreuve du pouvoir. L'Egypte entre en démocratie par la voie tumultueuse qui, décidément, semble constituer le lot incontournable des transitions arabes. La question finira bien par se poser : en l'état actuel des sociétés arabes, la démocratie est-elle possible ? Une partie de la réponse est déjà établie : l'urne et le multipartisme n'y suffiront pas. M. H. [email protected]