Même en captivité, Saddam Hussein continuait à entretenir le mythe d'un Irak uni. Maintenant que le zaïm déchu est entre les mains des Américains, le mur de la peur est tombé. Dans sa chute peu glorieuse, l'homme, autrefois tant craint, va exacerber les rancœurs et donner libre cours aux manifestations les plus violentes d'irrédentisme et de “communautarisme”. L'intégrité territoriale de l'Irak subsistera-t-elle en dépit des clivages ethniques et des extrémismes religieux importants ? Rien n'est moins sûr. En établissant son protectorat sur l'Irak dans les années 20, le royaume britannique avait créé une entité artificielle issue de découpages et de grignotements sur des territoires tiers. Le régime baatiste de Saddam est parvenu à sauvegarder le vaste “patchwork”, d'une part, en se basant sur une politique répressive sans commune mesure, d'autre part, en endormant les aspirations identitaires des différentes communautés grâce à une prospérité économique favorisée par les richesses pétrolifères du pays. Extra-muros, l'ex-raïs pouvait compter sur le soutien des grandes puissances, notamment des Etats-Unis surtout durant sa guerre contre l'Iran. Ainsi conforté, il s'était installé dans le pouvoir sans l'appréhension d'être un jour contraint à le quitter. Pourtant, Saddam était de loin le leader le plus représentatif. De confession sunnite, il appartient à une minorité. Dans le pays, plus de 50% de la population est a contrario chiite. 20% sont des Kurdes. Immédiatement après la chute de Bagdad au printemps dernier, les exclus d'hier avaient envahi les rues pour exprimer leur joie et réclamer leur réhabilitation. Réfugiés en Iran, des ayatollahs sont rentrés au pays avec l'intention ferme et résolue de se “réapproprier” l'Irak. Au nord, à Kirkouk, les Kurdes, en dépit de leurs divergences, se sont également mis au devant de la scène pour réclamer un statut d'autonomie. Dispersées, très souvent contradictoires, les revendications des différentes communautés consacrent une division qui pourrait à l'avenir s'avérer fatale à la survie de l'Irak. Comment alors dans de telles conditions, l'Administration Bush peut-elle envisager le transfert du pouvoir aux Irakiens et la mise en place d'un gouvernement de consensus ? Selon les experts, il était prévisible que les Américains gagnent la guerre, mais n'obtiennent jamais la pacification. D'abord parce que leur présence même sur le territoire irakien est source de problèmes. Au moins sur ce plan, les Irakiens sont unanimes, il faut chasser les GI's de leur pays. D'où la multiplication des attentats et la persistance du climat d'instabilité. Sur le plan politique, même si Washington s'échine à vouloir surmonter les clivages en s'engageant à parrainer le processus démocratique — promesses d'élections libres, nouvelle constitution —, une telle démarche est illusoire. Si Washington se conformait aux règles de démocratie, elle serait obligée de confier le pouvoir aux chiites majoritaires et dont les principaux dirigeants sont inféodés à Téhéran. Or, estiment les spécialistes, l'Irak pourrait faire l'économie d'un régime islamiste. De plus, si cela devait arriver, les sunnites, très affaiblis après la livraison de Saddam aux Américains, nourriront davantage de rancoeur. Les fidayin de Saddam, gagnés par une ferveur religieuse sans pareil, n'en seront que plus nombreux. Ils s'attaqueront aux Américains mais également à leurs compatriotes. Avec cette crainte avérée de guerre civile, est-il possible aux USA de se désengager de l'Irak ? Dans tous les cas, Bush est piégé. En l'absence de l'élite politique expatriée sous l'ère de Saddam, l'administration provisoire n'a trouvé d'autres interlocuteurs sinon des chefs de tribus et de clans en guerre depuis toujours. Selon Jean-Pierre Luizard, spécialiste de l'Irak au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en France, “l'erreur a été d'être en guerre et de croire que la démocratie peut s'exporter par la guerre”. S. L. Silence à Alger Au lendemain de l'arrestation spectaculaire du président irakien Saddam Hussein aucune réaction officielle des autorités algériennes n'est à enregistrer. Ni le ministère des Affaires étrangères, ni le premier ministre, ni la présidence n'ont fait de déclaration à propos de cette capture et éventuellement de la situation en Irak.