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Dans le chaos de Bagdad (I)
Pénuries, attentats et le fantôme de Saddam
Publié dans Liberté le 24 - 12 - 2003

À quoi ressemble Bagdad neuf mois après sa chute ? À quoi ressemble le quotidien des Irakiens aujourd'hui ? Comment vivent-ils l'après-guerre ? Comment vivent-ils l'après-Saddam ? Comment vivent-ils tout court ? Que pensent-ils de la présence américaine sur leur sol ? Comment prennent-ils la capture de leur ancien président ? Comment voient-ils leur avenir ? Liberté vous propose quelques éléments de réponse avec cette série de reportage.
Lorsque Jassem, le chauffeur de l'agence Achayeb qui nous a ramenés de Damas, nous a déposés au boulevard Al-Mansour, au cœur de Bagdad, nous avons été agréablement surpris de nous retrouver face à une ville qui donne l'impression de vivre normalement. Rien à voir avec le Bagdad d'avril 2003. Les rues sont animées, la circulation automobile est intense, les gens rient à gorge déployée, la musique braille, les klaxons hurlent de toutes parts… une ambiance de souk, en somme. Une ambiance presque festive, pourrait-on dire. C'est parce qu'au fond, c'est faux. Bagdad a mal et peine à panser ses plaies, surtout que la blessure est encore béante. Bientôt, il va faire nuit, il va faire noir. Le soleil se couche tôt par ici. 17h, les rues commencent déjà à se vider pour céder, peu à peu, la place aux hurlements des sirènes, aux patrouilles des troupes américaines et aux rafales des kalachnikovs.
À Alger, nous avons connu cela. Cela s'appelle l'insécurité. Depuis que nous sommes ici, il ne se passe pas un jour sans qu'il y ait un attentat dans les quartiers “chauds” de la ville, entendre surtout ceux de la périphérie à dominante sunnite : Abou Ghrib, Zaâfarania, Felloudja, Arramadi, Al-Adhamia… La résistance irakienne assène coup sur coup à l'armée américaine. “Depuis la capture de Saddam, les attentats ont sensiblement augmenté”, affirme Qahtane, ancien militaire converti en chauffeur de taxi.
Qahtane nous emmène faire un tour pour voir les séquelles laissées par les frappes américaines. Il sera notre guide le temps d'un pèlerinage à travers les faubourgs sensibles de Bagdad. “J'ai passé sept ans dans l'armée”, dit-il. “J'ai fait la guerre contre l'Iran et la première guerre du Golfe. C'était terrible”, poursuit ce jeune de 34 ans. Qahtane a quitté l'armée parce qu'il n'a pas eu droit à une promotion. “Je ne pouvais pas devenir officier parce que j'ai de “drôles” d'origines : ma mère est indienne et la mère de mon père est turque. Je ne suis pas un Irakien de souche”, avoue-t-il. Devant la Foire internationale de Bagdad, un terrain vague, avec des signes de destruction massive, des bâtiments entiers réduits en poussière. Une stèle à l'effigie de Saddam a valeur de régicide : le roi est mort, à bas le roi ! Le visage du raïs est littéralement arraché de la stèle de béton.
On imagine avec quelle haine ce visage a été effacé, de quoi consoler Narcisse. “Ici, 150 officiers des Services irakiens ont péri d'un seul coup durant la dernière guerre, à la suite de bombardements intensifs. Le patron des services de renseignements, Tahar Jalil Al-Habouche est un âne. Sachant le siège officiel des services irakiens repéré par les satellites américains, il l'a déplacé ici. Les espions qui sont légion en Irak ont vite donné sa nouvelle position et voilà le travail : réduit à néant !” Tous les bâtiments officiels à Bagdad ont triste mine “sauf le ministère du Pétrole”, dira malicieusement un bagdadi.
Le palais principal de Saddam “squatté” par Bremer
Les ponts suspendus de Bagdad annoncent le Tigre. Sur l'une de ses rives, à l'autre bout du pont Al-Joumhouria, des rouleaux entiers de barbelés, avec un attroupement massif de jeeps et de tanks US. “Ici, c'est l'ancien palais présidentiel, Al-Qasr Al Joumhouri, le palais principal de Saddam. Aujourd'hui, c'est la résidence officielle des nouveaux maîtres du pays, l'administrateur général Paul Bremer ainsi que ses larbins, les membres du Conseil de gouvernement", dit Qahtane. Le palais s'ouvre par un arc de triomphe d'aspect imposant.
Les bâtiments, qui s'annoncent à travers cet arc, sont des bâtiments militaires à moitié détruits et laissés en l'état. La résidence de Paul Bremer doit se trouver à des kilomètres au fond de cette immense propriété, véritable ville dans la ville. Qahtane, comme nombre d'Irakiens avec lesquels nous avons discuté, ne porte pas l'équipe d'Al-Hakim et de Chalabi dans son cœur. Pour eux, ils n'ont qu'un seul nom : traîtres ! Même si beaucoup d'Irakiens ne le disent pas tout haut, ils soutiennent la résistance.
Qahtane appelle les groupes qui font la guerre aux Américains “al-milichiate”, les milices. Il aurait bien combattu aux côtés des résistants mais il craignait d'être dénoncé. “Les Américains ont des agents et des espions partout. C'est comme ça qu'ils ont conquis le pays, pas parce qu'ils sont plus forts. Leur plus grand allié s'appelle “al-khiana”, la trahison !” estime notre guide. Officiellement, les résistants sont des terroristes et gare à qui coopère avec eux. Ce n'est donc pas évident d'afficher sa sympathie pour les animateurs de la guérilla. Il faut noter que la ville connaît une large campagne de sensibilisation antiterroriste où la coalition exhorte la population civile irakienne à collaborer pour démanteler les réseaux de la guérilla. En parallèle, les ONG activent, de leur côté, pour prémunir les civils des conséquences de la résistance sur la sécurité des personnes, à l'instar de cette affiche de handicap international pour aider à débusquer les colis piégés dans les lieux publics. Qahtane pense que Saddam n'a pas été capturé de la manière dont les médias ont présenté l'événement. “Saddam assad oua dhib, Saddam ma yekhtafi bi houfra” (Saddam est un lion doublé d'un loup. Il ne peut pas se cacher dans un trou !) . Notre accompagnateur y va lui aussi de son scénario pour expliquer ce qui s'est réellement passé : “Ils l'ont capturé à Mossoul. Il était sans barbe et se portait bien. Ils l'ont sorti maintenant pour casser le moral aux résistants ! Mais ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'ils ont laissé un million de Saddam dans la nature !” lance Qahtane.
Le “maquis” irakien
Bagdad ne fonctionne pas comme une ville “assiégée”, mais comme une ville “terrorisée”. Quand on se remémore tout ce qu'avait subi cette ville au plus fort de la guerre, durant ce déluge de feu qui s'abattait sur le Tigre, et quand on pense à la peur qui se lisait sur le visage, de ceux qui nous faisaient leurs au revoir à Alger sur des airs de “demi-adieux”, on a peine à croire qu'il s'agit de la même ville ou du même pays. Pour un Algérien, Bagdad est même une ville presque “normale”.
On peut y circuler librement et sans crainte majeure et celui qui viendrait ici pour voir de près des cadavres déchiquetés, étalés sur la voie publique, ou assister en direct à des attentats, il a de fortes chances de repartir bredouille. On ne peut pas, bien sûr, ignorer qu'il y a des violences en Irak, mais il n'y a pas de “maquis” à Bagdad. Il n'y a pas de “combats réglés”, avec de grosses confrontations militaires, entre Irakiens et Américains, d'autant plus que le peuple, dans sa majorité, a baissé les bras, faut-il le dire.
“Nous sommes fatigués, nous sommes un peuple exsangue, éprouvé par trente-cinq ans de guerres non-stop et un embargo de dix ans”, résume un citoyen. Il y a, néanmoins, une résistance armée mais, comme l'expliquait le colonel Khaled dans nos colonnes, figure de premier plan de la résistance irakienne, “il y a une guérilla à Bagdad. La résistance fonctionne sur le mode des opérations commando”. Et pour qui s'attend à voir des attentats spectaculaires dans les cafés ou les marchés, eh bien, voilà une semaine que nous sommes ici et nous n'avons toujours pas vu d'attentat en “live”, signe que les actes de violence politique à Bagdad choisissent qui frapper et où frapper. Ce n'est pas le GIA.
“Si nos opérations étaient anarchiques et ne se souciaient pas de préserver la vie des civils, il y aurait eu beaucoup plus de pertes dans les rangs de la coalition”, faisait encore remarquer le colonel Khaled dans l'entretien qu'il nous avait accordé (voir Liberté du 21 décembre 2003). Beaucoup de pertes sont ainsi déplorées parmi les soldats US et la police irakienne. “Il y a eu plus de 200 policiers irakiens tués ces derniers mois”, reconnaît un officiel, à la télévision, à l'occasion de la fête nationale de la police, célébrée le 18 décembre de chaque année. Il y a beaucoup de pertes parmi les civils aussi. Mercredi 17 décembre, un véhicule léger explose au quartier dit Al-Bayae. Bilan : 17 civils tués, selon la police irakienne, 10 selon le capitaine Jason Beck, un porte-parole de l'armée américaine. Qahtane nous emmène sur les lieux. Aucune trace de l'attentat, à l'exception d'un bout de moteur estomaqué et une voiture défoncée. Cela s'est produit tôt dans la matinée de mercredi dernier, au niveau d'un feu rouge, lorsqu'une voiture piégée a percuté un minibus bondé de voyageurs.
Samedi 19 décembre, sur fond de visite surprise du premier ministre espagnol, José Maria Aznar, plusieurs embuscades sont tendues çà et là aux troupes de la coalition. En parallèle, les règlements de compte font rage entre chiites et sunnites. Pour rappel, Muhamad Al-Hakim, le frère de Abdelaziz Al-Hakim, l'actuel président du Conseil de gouvernement irakien, vient d'être assassiné, rejoignant ainsi son autre frère, l'ayatollah Mohamed Baqer Al-Hakim, qui a péri dans un attentat meurtrier à Najaf en août dernier. Qahtane qui est sunnite affirme que les chiites, de leur côté, ont liquidé plusieurs anciens cadres du parti Baâth ainsi que d'anciens militaires.
Même la couleur du Tigre a changé
Pas loin d'al qasr al-Joumhouri, le siège du ministère de l'information. Ce sont les anciens locaux du célèbre Mohamed Saïd Assahaf et sa non moins célèbre épithète fétiche : “Al-Oûlouj”. Le ministère est toujours en l'état, après son bombardement. Plus loin, un imposant totem des télécommunications irakiennes arborant, lui aussi, les mêmes signes de désolation : c'est Bordj Al-Mamoun.
Successivement, le ministère du logement, le ministère de la planification ou encore le Commandement central des forces aériennes sont tous détruits. Très peu de bâtiments officiels ont été restaurés. Pour tout dire, le seul à avoir été retapé c'est celui du ministère des affaires étrangères. Par ailleurs, nous avons relevé d'autres infrastructures incendiées, à l'instar de Masraf Arafidayn, l'une des plus grandes banques de Bagdad, ou encore le grand centre commercial d'Al-Mansour. Ceux-là ont été saccagés par les pilleurs ou pilonnés par les fidayis de Saddam, nous dit-on.
Sinon, tous les boyaux de la ville sont éventrés : trottoirs, canaux d'évacuation des égouts, conduites d'eau… Des tonnes et des tonnes de gravats jonchent la ville, côtoyant des masses astronomiques de détritus.
Même les quartiers chic comme Al-Karada n'ont pas été épargnés. Bagdad est devenue sale et impropre à l'habitation. Même la couleur du Tigre a changé. Des voitures calcinées, des bâtiments bombardés longeant ses rives lui ont donné d'autres couleurs, quelque chose de sinistre, même si le fleuve orgueilleux garde toujours sa somptuosité.
Voilà donc le quotidien de Bagdad. Destruction, désolation, voitures piégées, fusillades, embuscades, pétarades, liquidations, déflagrations, coups de feu inopinés, manifs, contre-manifs rythment son pouls comme l'appel du muezzin. Et puis des soldats US pétant les plombs, multipliant bavures et arrestations arbitraires. Tout le monde parle de tirs dans le tas sur des foules en folie. Pourtant, la vie continue d'une façon inexorable. Les Irakiens ont une soif terrible de vivre.
M. B.


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