Il y a cent soixante-seize ans, en novembre 1836, les troupes françaises échouèrent dans leur première tentative de prise de la ville de Constantine. Cette défaite n'était due ni au manque de lucidité du maréchal Clauzel, commandant l'expédition, ni au refus du gouvernement français de l'époque de lui fournir des renforts, ni aux conditions climatiques, que se plaisent à invoquer les versions françaises, mais bien à la résistance des enfants du pays. La Résistance, cette valeur dont on ne soulignera jamais assez l'importance, pour la dignité humaine et le destin des peuples. Daté du 20 novembre 1836, l'ordre du jour, signé du maréchal Clauzel, annonçait dûment la prise de Constantine. Hélas, ce 21 novembre, sous la pluie glaciale qui n'en finissait pas de tomber, le maréchal gouverneur général de l'Algérie et son escorte devaient se rendre à l'évidence : ils étaient, certes, là, surplombant la ville objet de leurs convoitises, mais sans que celle-ci ne s'offre à eux, autrement que par le regard. Et le spectacle était bien celui d'une cité hostile, rejetant toute avance. L'ordre du jour, antidaté, n'était que leurre. La réalité s'imposa à l'état-major, Constantine ne se rendait pas, ses habitants n'ouvriraient pas ses portes, n'abandonneraient pas leur bey et s'étaient préparés au combat. Tout cela contredisait fort les promesses de capitulation qu'avait fait miroiter aux yeux de ses maîtres l'aventurier Youssef que la France avait nommé bey de l'Est à Annaba. Toutefois, la décision de prendre d'assaut la ville fut prise. “Alea jacta est", durent pour cela se dire, en bons émules de César, les militaires français, oublieux du fait que “les hommes croient ce qu'ils désirent", comme souligné par le même César. L'armée expéditionnaire était constituée de plus de 8000 hommes, face à eux, à peine plus de 1200 hommes composaient les troupes algériennes. Celles-ci étaient divisées en deux, le plus gros était sur les remparts, tandis que le reste, formé de cavaliers, parcourait la campagne environnante, guettant les occasions propices pour harceler l'ennemi. Ce dernier occupait deux positions, face aux entrées de la ville, au plateau du Mansourah vers l'est et sur le monticule du Coudiat à l'ouest. En butte au froid et à la déception, les Français durent encore faire face, en cette veillée d'armes, à un mouvement de mutinerie partielle, la soldatesque pilla les cantines, se saoula à mort, livrant le camp à un désordre indescriptible, dont les assiégeants se seraient bien passés. Au matin, malgré la perte du convoi des vivres et les pertes enregistrées du fait des escarmouches nocturnes, que le comportement inconscient des mutins contribua à faire réussir, les Français s'affairèrent à préparer le siège. Ainsi fut installée une série de batteries sur les hauteurs de l'actuel quartier de Bab El- Kantara, face au pont du même nom. On s'essaya aussi à hisser un canon sur la butte de Coudiat Sidi-Aty, mais sans y parvenir, sous le feu nourri des postes avancés constantinois. Ce même feu nourri qui empêchera, le soir, une incursion de reconnaissance sur le pont d'El-Kantara. Le lendemain, 23 novembre, l'initiative fut algérienne, puisque la cavalerie, sous le commandement d'Ahmed Bey, attaqua divers points du bivouac, lui infligeant de solides pertes, démontrant que “la furia" n'était pas un apanage “francese". Ces attaques poussèrent l'état-major à hâter le moment de l'assaut final, qui fut donc décidé pour la nuit même. On rapprocha une batterie face à la porte d'El-Kantara et la canonnade commença. Les Français avaient convenu d'attaquer au niveau de deux accès : Bab-El-Kantara et Bab El-Oued (actuellement place du 1er-Novembre). A minuit, les troupes se lancèrent à l'assaut, elles fondirent sur l'aérienne cité, selon deux mouvements, l'un à partir de l'ouest, du Coudiat vers Bab El-Oued, l'autre à partir de l'est, du Mansourah vers Bab El-Kantara. Les Algériens, sur le qui-vive, firent immédiatement face, pour faire échouer les deux attaques ennemies. Aucune des deux portes, qui gardaient la ville entourée de remparts, n'eut à céder, les sapeurs français ne réussirent même pas à les entamer, eux pourtant couverts de la gloire du siège de Dantzig, à l'origine de leur position privilégiée dans les défilés. A Bab El-Kantara, les assiégeants se distinguèrent par leur faiblesse face à l'organisation des Algériens, ils se bousculèrent les uns les autres, après qu'on les eut faussement convaincus par un stratagème que la voie était libre. A Bab El-Oued, grâce à une intervention algérienne, ils perdirent le sac de poudre destiné à faire exploser la porte. Devant la supériorité, en termes de stratégie, de l'ennemi, le commandement français fit vite sonner la retraite, de peur d'un désastre plus grand, d'autant que munitions et vivres suffisaient à peine à assurer celle-ci. Dans sa hâte, la colonne expéditionnaire abandonnera jusqu'à ses blessés. Ainsi finit, dans la confusion et la débandade, le premier siège de Constantine. Les pertes françaises, entre le siège, l'assaut et la retraite, furent parmi les plus importantes qu'enregistra l'invasion de l'Algérie, entre 2000 et 3700 hommes, selon les propres sources françaises contemporaines de l'événement (notamment le duc d'Orléans). Les assiégés avaient opposé la plus vive résistance. Mieux organisés, plus motivés et en hommes de principe, n'entendant pas céder à l'envahisseur, ils avaient réussi à vaincre, infligeant à une armée moderne, aguerrie par les guerres de l'Empire, une défaite retentissante. Un auteur français, Alfred Nettement, relate, admiratif, dans son ouvrage intitulé Conquête de l'Algérie, paru en 1870, l'épilogue de cette victoire algérienne, en écrivant : “La bataille avait duré toute la nuit, et au petit jour, les nôtres (les Français) entendirent des voix mâles et vibrantes qui (...) entonnaient des chants (...) c'étaient les défenseurs de la ville qui, après avoir victorieusement repoussé nos colonnes, faisaient la prière. Dans l'accent de cette voix, où frémissaient encore l'émotion du combat et la joie de la victoire, contenues par le recueillement d'une pensée qui se met en la présence de Dieu, il y avait quelque chose d'inexprimable que n'oublieront jamais ceux qui les ont entendues". Quel meilleur témoignage de l'élévation des hommes que celui, en cela, de leurs propres ennemis ! A. B.