Son long-métrage, “le Professeur" (2012), projeté à Oran dans le cadre du 6e Fofa, traite de la situation politique de la Tunisie, à travers l'histoire d'amour entre un professeur et son élève, dans la Tunisie de 1977, sous l'ère Bourguiba. Le réalisateur qui vit en Belgique évoque, dans cet entretien, la dimension politico-sociale de son film. Liberté : L'accueil du public, que ce soit ici à Oran ou en Tunisie, a-t-il été le même ? Mahmoud Ben Mahmoud : Oui. De manière générale, l'accueil a été le même, y compris au Qatar où il a aussi été présenté. Les gens sont pris par l'histoire et le thème abordé. L'Algérie et la Tunisie ont des sensibilités et une mémoire commune. Les gens ont encore à l'esprit l'époque de Bourguiba et le système qui sévissait, avant la révolution. Il y a une forte identification de ce point de vue ; nos sociétés souffrent des mêmes maux, c'est-à-dire de l'occultation de la mémoire, de l'histoire. Et d'avoir voulu éclairer cette époque, jamais abordée dans une fiction, un documentaire ou dans la littérature, suffit à donner à ce film un intérêt particulier. Vous situez le film à l'époque de Bourguiba et non pas à celle de Ben Ali. Est-ce volontaire ou par la force des choses ? ∑ Les deux ! Je n'ai jamais pu trancher. Il y a le choix du réalisme quand même. Je pense que cela aurait été suicidaire de situer l'action sous Ben Ali, parce que le film est frontal. Il passe en revue toutes les atteintes aux libertés que la Tunisie a connues sous le système de Bourguiba, que Ben Ali a héritées, et dont il a lui-même amplifié les méthodes et les pratiques. Sous Ben Ali, nous sommes devenus un Etat policier au sens caricatural du terme. Jamais un ministre de la culture de Ben Ali, qui a été pourtant courageux en finançant ce film, n'aurait eu le courage de le faire si j'avais eu l'audace d'en situer l'histoire sous Ben Ali. Pourtant l'histoire qui a inspiré le film a bien eu lieu sous Ben Ali : l'emprisonnement d'un militant du parti nommé à la Ligue des droits de l'homme pour défendre les positions officielles et qui à un moment, a basculé dans l'autre camp. Il y aussi une autre explication à apporter : c'est la fin des années 1970 qui a connu la création de la toute première ligue des droits de l'homme, pour la première fois dans un pays arabe, mais aussi les tensions très fortes entre le gouvernement d'alors et la centrale syndicale. Vous avez achevé votre film à un moment particulier en Tunisie... ∑ J'ai achevé le tournage le 23 décembre, et notamment, les scènes qui se déroulaient dans le Sud. Le tournage se terminait alors que Bouazizi s'était déjà immolé. Je me trouvais à 80 km de là, et ce que j'ai vu dans le Sud laissait présager quelque chose. Je l'ai dit à un cousin dès mon retour en Belgique, c'est comme une dent qui s'apprête à tomber. On a atteint une forme de non-retour. La révolution a commencé trois semaines après. Beaucoup, à l'occasion de la projection et même en dehors, font un parallèle entre l'après “révolution" en Tunisie et les années 1990 en Algérie, comme si un scénario identique pourrait se produire. Quel est votre sentiment ? ∑ La comparaison me paraît totalement infondée. C'est vrai que les gens ont très peur, et qu'il y a même une sur-exagération, mais c'est parce que c'est la première fois dans l'histoire de la Tunisie que notre mode de vie est pris pour cible ; un mode de vie éminemment méditerranéen parce que nous avons cet héritage andalous, turc, français, etc. La différence entre autre avec l'Algérie, c'est que nous, nous avons des Islamistes au pouvoir — il ne faut pas l'oublier — et qu'ils sont confrontés à la réalité et à l'épreuve de la gestion. Ce n'est pas la charia qui va permettre de répondre aux besoins des Tunisiens. La jeunesse aujourd'hui en Tunisie a une telle impatience qu'elle ne laisse rien passer. Les islamistes sont très à l'étroit avec les salafistes. Aujourd'hui, il y a une résistance fantastique de la société civile face aux velléités des islamistes, et pour les Tunisiens, c'est fini, on ne leur la fera plus. D. L.