Toutes les parties afghanes ont eu leur part. L'Afghanistan a effacé “les institutions” talibanes, mais c'est une république islamique. Ce n'est pas nouveau, elle l'avait été, en 1989, lorsque l'occupant soviétique a été chassée au nom de l'islam, donnant lieu aux massacres que l'on sait, avec au bout de la piste Al-Qaïda et tutti quanti. Les empoignades qui ont marqué la naissance de la nouvelle Constitution révèlent que l'Afghanistan, de ce point de vue, est loin de sortir de l'ornière islamiste. La Loya Jirga (assemblée traditionnelle) devient la Wolesi Jirga (Assemblée du peuple). Les chefs de tribu, pour être reconnus, devront repasser par les urnes. Ce qui n'est pas un problème pour eux. Cela dit, Karzaï est comblé. Il s'est taillé un costume constitutionnel sur mesure. En juin prochain, il devrait passer comme une lettre à la poste. Sauf accident de parcours, il sera élu au suffrage universel, avec pratiquement tous les pouvoirs qu'il a exigés. La nouvelle Constitution lui confère, en effet, le pouvoir militaire (commandant des forces armées) et de Chef du gouvernement. Même s'il est entouré de deux vice-présidents et même si cela doit être en accord avec la Wolesi Jirga, c'est lui qui détermine la politique fondamentale de l'Afghanistan. Les américains sont aussi satisfaits. La Loya Jirga a déroulé le tapis rouge sous les pieds de leur protégé (Karzaï), et cerise sur le gâteau, les chefs tribaux, conservateurs quand ils ne sont pas carrément islamistes, ont quand même fini par accepter le principe de “l'égalité homme-femme”, qui figure textuellement dans la Constitution. Le texte fondamental du nouvel Afghanistan n'a pas fait l'impasse sur les droits fondamentaux de l'individu. En cela, Karzaï n'a pas innové, il s'est inspiré des constitutions en vigueur dans les pays musulmans et on sait à quoi cela rime. La sienne est également un mixture de valeurs universelles et de principes d'une république islamique. Les chefs tribaux s'en sont tirés eux aussi à bon compte. lIs ont accepté l'idée d'un pouvoir central mais la carte ethnique dont ils se nourrissent n'est pas abrogée. Le patchou et le dari seront les langues officielles mais les langues des autres ethnies (tadjike, ouzbèke, hazaras et turkmène) seront également considérées dans leur fief comme langue officielle. Les ingrédients de la division demeurent ainsi en l'état d'autant que les chefs tribaux — qui sont aussi des chefs de guerre — ne se laisseront pas désarmer. L'armée nationale est en train de voir le jour, à l'initiative des forces d'occupation américaines et de l'Otan, mais la tâche est loin d'aboutir. Depuis des mois, la guerre tribale — qui n'ose pas dire son nom — rôde de nouveau dans le pays. Seul Kaboul est, plus ou moins sécurisée. Encore grâce à la présence de 11 000 hommes de l'armée américaine et des forces de l'Otan. Ailleurs, les seigneurs de la guerre ont gardé toutes leurs marges de manœuvre. Plus est encore, le leader islamiste Hekmatyar, ancien premier ministre recherché par les américains, tente de réorganiser son Hezb islami, et le mollah Omar, l'idéologue d'Al Qaïda, rassemble derrière lui les talibans qui ont échappé à la traque américaine. Face à ce retour, les Etats-Unis ont d'ailleurs déclenché l'opération “Avalanche” (2 000 Gi's appuyés par des recrues de l'armée nationale afghane en cours de constitution) pour prendre les sanctuaires terroristes, notamment dans les zones tribales aux frontières pakistanaises. La Constitution arrachée au forceps par Karzaï est certainement une grande avancée dans ce pays laboratoire de l'islamisme mais la question est : pourra-t-il la faire appliquer ? Certainement pas sans la présence des américains et de l'Otan. D. B.