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La valeur du dinar en question
Duel à distance entre la Banque d'Algérie et le square Port-Saïd
Publié dans Liberté le 02 - 01 - 2013

Entre les marchés parallèle et officiel de la devise c'est un duel “à distance" qui se poursuit, marqué par un cloisonnement des deux marchés et un accroissement du différentiel des taux de change. Le prochain épisode pourrait être une augmentation substantielle de l'allocation touristique.
L'année 2012 avait commencé par une alerte à propos d'une hypothétique “dévaluation" du dinar sur le marché officiel .Elle s'est achevée par une polémique sur l'“utilité" du marché parallèle de la devise. Sur les chiffres, les représentants de la Banque d'Algérie ont eu beau jeu de démontrer en début d'année que l'évolution de la valeur du dinar au cours de la décennie écoulée n'est pas celle d'une dévaluation mais est, en fait, caractérisée essentiellement par sa stabilité par rapport aux monnaies des principaux partenaires commerciaux de l'Algérie.
Une constatation particulièrement vérifiable par rapport au dollar. En 2002, la monnaie américaine valait 79 dinars, elle en vaut 75 aujourd'hui. Sur la même période, il y a bien eu dépréciation du dinar par rapport à l'euro mais cette dernière épouse, en fait, celle du dollar par rapport à la monnaie européenne en l'atténuant fortement. Le “flottement dirigé" du dinar inspiré par la doctrine des institutions financières internationales a donc surtout favorisé, depuis plus d'une décennie, la stabilisation de la valeur de la monnaie nationale. On pourrait même, sans doute, ajouter que la recherche de “l'équilibre du taux de change effectif réel", associé à cette gestion de la monnaie nationale, n'a enregistré que partiellement les différentiels d'inflation avec nos partenaires commerciaux qui auraient pu se traduire par une dépréciation plus marquée vis-à-vis de l'euro en particulier.
Cette doctrine appliquée depuis la fin des années 1990 et fortement appropriée par le staff dirigeant de la Banque d'Algérie a contribué à alimenter au sein de l'institution la conviction que la gestion de la monnaie nationale obéit à des mécanismes essentiellement “techniques" et sans ingérence notable du politique. C'est sans doute également le sens qu'il faut attribuer aux dénégations opposées au concept et à l'usage du mot “dévaluation" qui impliquerait précisément un choix fort de politique économique.
Au cours de la même période d'une décennie le taux de change officiel du dinar à servi de base à des transactions commerciales massives et en augmentation très rapide. C'est ainsi que les importations des seules marchandises sont passées d'un montant de 12 milliards de dollars en 2002 à plus de 47 milliards de dollars en 2011. À quoi il faut ajouter des importations de services également en pleine explosion et qui ont atteint près de 12 milliards de dollars l'année dernière.
Le square Port-Saïd plus fort que la Banque d'Algérie ?
S'il ne correspond pas à la réalité de notre commerce international, d'où vient alors le sentiment fortement répandue dans l'opinion nationale d'une “dévaluation rampante" du dinar ? La réponse paraît évidente : il résulte de l'évolution du marché parallèle de la devise qui tout en brassant des montants beaucoup moins importants que le marché officiel exerce une influence décisive sur la perception du grand public.
Sur ce marché secondaire, on peut estimer que le dinar a perdu en une décennie environ un quart de sa valeur. Le différentiel des taux de change entre les marchés officiels et parallèles s'est creusé simultanément et il est aujourd'hui de l'ordre de 40%.
Un marché parallèle de la devise qui n'est pas prêt de disparaître. Le ministre des Finances, Karim Djoudi, avait beau bomber le torse devant les parlementaires voici quelques semaines en affirmant : “Le gouvernement va combattre le marché informel de la devise. La loi ne permet pas l'existence d'un marché parallèle de la devise", ajoutant sur le même ton solennel : “Dans l'économie, il existe un marché officiel. Il n'y a pas de place pour le marché noir". En fait, Karim Djoudi sait très bien que c'est son collègue de l'intérieur Daho Ould Kablia qui a raison et qui a bien résumé le sentiment général en soutenant que le marché parallèle du change ne doit pas être interdit car les “citoyens y trouvent leur compte". Par cette affirmation en forme d'aveu, M. Ould Kablia est même encore en-dessous de la vérité. Dans l'état de fonctionnement et d'organisation actuels du système financier algérien, on peut soutenir sans aucune exagération que le marché noir de la devise est aujourd'hui une activité de salubrité publique. En l'absence de mise en place des bureaux de changes officiels annoncée depuis des années et toujours pas appliquée, le change au noir est aujourd'hui le seul moyen pour le simple citoyen, ou le patron de PME, de voyager décemment, d'acheter un médicament introuvable sur le marché national ou une pièce de rechange. Le marché noir des devises est une soupape de sécurité pour tout le monde et sa disparition nous ramènerait dans beaucoup de domaines aux pires années de pénuries.
Un marché noir de la devise efficace et transparent.
“Pour contourner la réglementation, des opérateurs économiques passent par le marché parallèle, et ce, afin d'acheter des actifs à l'étranger. Cette fuite des capitaux est à l'origine de l'augmentation de l'écart de prix entre marché officiel et marché parallèle", estimait récemment Djamel Benbelkacem, conseiller à la Banque d'Algérie, sur les ondes de la Radio nationale.
Si l'Etat veut mettre un terme à cette situation, il faudra d'abord qu'il commence par faire son propre travail d'organisateur et de régulateur du marché. Rien ne l'empêche de légaliser progressivement le change parallèle en invitant la Banque d'Algérie à mettre en place le cadre juridique qui permettra à un marché secondaire de la devise de se développer. Tous les spécialistes disent que les timides tentatives du début de la décennie écoulée dans ce domaine ont échoué faute de réflexion suffisante sur les conditions de viabilité des bureaux de change officiels .La tâche n'est pourtant pas insurmontable puisque de tels bureaux de change existent et fonctionnent très correctement dans les pays voisins.
En attendant, le marché noir de la devise fonctionne très bien et possède toutes les caractéristiques d'un marché transparent, loyal, organisé et concurrentiel... voire moderne. Les cours de change sont uniques sur l'ensemble du marché et connus de tous. Ils sont révisés très régulièrement en fonction de l'état de l'offre et de la demande. Les commissions perçues par les intermédiaires sont relativement modestes. Le marché est bien approvisionné et les transactions s'y effectuent avec une rapidité et une facilité qui pourrait être citées en exemple.
Autant de caractéristiques et de performances dont le ministère des Finances et la Banque d'Algérie au moment de concevoir la future architecture du marché secondaire et officiel de la devise, s'il voit le jour, auraient tout intérêt à s'inspirer. Pour l'instant le marché parallèle de la devise a encore de beaux jours devant lui.
H. H.


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