Le président égyptien Mohamed Morsi a décrété, dimanche, l'état d'urgence dans trois provinces de l'Egypte où les affrontements sanglants contre son pouvoir ont fait, en trois jours dans l'ensemble du pays, 46 morts et plus de 460 blessés. Issu des Frères musulmans, Morsi a également annoncé d'autres mesures si les tensions ne baissaient pas. “C'est mon devoir et je n'hésiterai pas", a-t-il averti, rappelant le langage et les recettes de son prédécesseur Hosni Moubarak chassé par la rue il y a deux années, jour pour jour. Les heurts avaient commencé la veille de la commémoration du Printemps du Caire sur la place emblématique Tahrir de la capitale pour être relayés par l'annonce de 21 condamnations à mort pour les violences meurtrières d'un match de football l'an dernier. Le feu a pris à Port-Saïd où des proches de personnes condamnées tentaient d'envahir la prison dans laquelle elles se trouvaient. Il a fallu des blindés pour dégager les rues autour de la prison. Les échauffourées ont repris de plus belle samedi lors de l'inhumation des morts de la veille. Au Caire, le verdict a, en revanche, été accueilli par les cris de joie et les youyous des membres des familles des victimes, mais les manifestants n'ont pas pour autant baissé les bras : ils ont essayé d'incendier le siège du ministère de l'Intérieur au motif que les policiers arrêtés lors de ce sanglant match n'ont pas été jugés. Dans les deux cas, les manifestants ont lancé des slogans hostiles au pouvoir islamiste, scandant : “Pas de nouveau Pharaon". Avec la succession de manifestations hostiles à son pouvoir, ininterrompues depuis l'automne 2012, au Caire, en dehors des Frères musulmans, tout le monde estime que Mohamed Morsi, le premier président civil plus ou moins démocratiquement élu de l'Egypte, a perdu sa légitimité. Aux affrontements de rue, le président islamiste ne parvient pas à faire entrer dans le jeu de son pouvoir l'opposition qui elle aussi a choisi l'option du bras de fer et du pourrissement. Aux yeux de politologues égyptiens, le nouveau président n'a visiblement pas mesuré les mutations profondes de la société égyptienne, notamment de la jeunesse qui le tient en échec, même s'il a réussi à faire passer en force sa Constitution échafaudée par les Frères musulmans. Et quand bien même il s'est arrogé tous les pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire, plus que Moubarak, pourtant véritable pharaon dans son genre, Morsi semble paralysé. En singeant aveuglément le président incarcéré pour ses trois décennies de gestion totalitaire, le président islamiste devait irrémédiablement recevoir le boomerang en pleine figure. Les Frères musulmans ne se sont pas révélés aussi pragmatiques que les avaient encensés les observateurs et des politiques, dans le sillage du label démocratique décerné par les Etats unis et l'Union européenne. Au-delà de leur vision du monde réel sous la lucarne de la religion, ces islamistes “soft", “new look" et “intelligents", se sont révélés une fois au pouvoir de piètres dirigeants qu'on ne peut même pas dissocier de leur ennemi intime que fut le système Moubarak. Au fond, même s'ils maîtrisent les nouvelles technologies de communication, c'est exclusivement pour les utiliser comme vecteurs de leur propagande islamiste. Comme ses pairs arabes, Morsi n'a pas compris que la jeunesse égyptienne s'est ouvert la voie à une citoyenneté en déclenchant la révolution en 2010 à laquelle aujourd'hui aspire également une part croissante de la population. Le religieux s'est, en quelque sorte, sécularisé en devenant une ressource de mobilisation contre l'autoritarisme. On a l'impression qu'au Caire plus personne ne peut se targuer de détenir le monopole de l'autorité religieuse. C'est, par ailleurs, un sentiment identique en Algérie. Une chose est certaine, l'explosion de l'individualisme chez les plus jeunes et du consumérisme dans la société fait bouger les lignes pensées révolues en ce qui concerne le poids de la religion dans la vie publique. Cette mutation explose littéralement aujourd'hui au grand jour en Egypte. Morsi, le président islamiste, en fait l'apprentissage à ses dépens. Ses dérives autoritaires vont achever d'étendre les désillusions à son égard mais surtout à l'égard du pouvoir se prévalant également de légitimité religieuse pour instaurer un ordre “charaïque". Les Frères demeurent de loin la plus grande force politique organisée du pays mais, en face, elle a une opposition, les Jeunes du 6-Avril, les militants d'extrême-gauche, les nassériens, les libéraux, les coptes, les femmes féministes, les intellectuels, les représentants de l'ancien régime recyclés en défenseurs de la démocratie, qui apparaît unie aujourd'hui pour les empêcher d'installer un nouveau régime autoritaire. Quant à l'armée, mise à l'écart par Morsi et les Frères musulmans, elle se présente toujours comme le recours suprême. En outre, selon des spécialistes, cette armée qui a régné depuis Nasser, serait elle-même traversée par des aspirations à une véritable citoyenneté, à l'image de la société dont la place Tahrir est un miroir. D. B