Résumé : Tahar demande à son fils de peser ses mots, car Zahia est malade et ne supporte pas d'être contrariée. Il précise aussi qu'il était inutile d'évoquer à chaque fois sa défunte mère. Il faut enterrer le passé et songer à l'avenir. Pour le moment, le plus important pour lui était de constater qu'Azad et Katia s'entendaient bien. Tahar ébauche un semblant de sourire en biais. Une grimace en quelque sorte, se dit Azad. - Je suis content que vous vous entendiez bien toi et Katia. Je craignais que la différence d'âge entre vous ne vous joue de vilains tours. - Quels vilains tours ? - Une mauvaise entente par exemple. - Une différence d'âge n'a jamais été la raison d'une mésentente. Katia est adorable. Elle est gentille et très mûre pour son âge. Katia rougit de plaisir. Elle regarde son père, puis son frère avant de lancer : - Je suis tellement heureuse de te retrouver Azad. Je me sentais tellement seule ces derniers temps. Offusqué, Tahar fronce les sourcils : - Mais tu n'es pas seule. Nous sommes là. Nous sommes tes parents. Elle acquiesce : - Oui. Vous êtes là. Mais parfois j'ai du mal à vous retrouver. Vous êtes tous les deux tellement occupés, chacun de son côté, et puis le fait de vivre sous le même toit que ses parents n'est pas toujours une garantie de bonheur. Tahar s'insurge : - Mais que te manque-t-il donc ma fille ? Tu as toujours eu ce que tu voulais. Tu as toujours été gâtée et choyée. Tu possède une garde-robe qui ferait pâlir d'envie une princesse, une chambre meublée avec goût et soin, une bibliothèque, un micro-ordinateur, l'internet... Je t'ai même promis un beau véhicule, si tu décrochais ton baccalauréat. Katia, qui n'arrivait pas à soutenir le regard dur de son père, baisse les yeux et hausse les épaules, avant de se mettre à débarrasser la table. Elle avait préparé du café auparavant et sert les deux hommes avant de s'occuper de la vaisselle. Azad met du sucre dans sa tasse : - Tu crois qu'il suffirait d'acheter des babioles à une adolescente pour la rendre heureuse ? Tahar reprend son air sévère : - Je ne vois pas de quoi elle aurait besoin en plus de ce qu'elle possède. Azad hoche la tête : - D'affection, d'attention, d'amour. Tu crois que tout ce qu'on peut se permettre comme matériel suffirait à combler le vide affectif ? Tahar prend une longue inspiration : - Tu crois que j'ai eu moi tout ce qu'elle possède à son âge. ? - Non. Bien sûr que non. A ton époque, il n'y avait ni ordinateur, ni vidéo, ni garde-robe garnie. Mais tu as eu quelque chose de bien plus précieux : l'affection des tiens. Rien ne pourra remplacer l'affection d'un parent. Tu n'es pas né de la dernière pluie pour le savoir. Tahar dépose sa tasse : - On voit que tu es psychologue. Tu parles en termes scientifiques. Azad lève une main protestataire : - Loin de là. N'importe qui pourra te répéter ce que je viens de te dire. Nulle personne au monde n'est censée vivre sans affection. Le cas échéant, elle serait déséquilibrée. - Comme toi ? Azad déglutit : - Oui. Comme moi ! Il prend une longue inspiration à son tour et reprend : - J'ai peut-être manqué d'affection auprès de toi. Mais fort heureusement, je m'en suis bien tiré. Quoique les séquelles que j'en garde ne vont pas s'effacer de sitôt. Il passe une main dans ses cheveux : - Nous parlions de Katia, et voilà que nous bifurquons vers mon cas. Tahar hausse les épaules : - C'est toi qui l'a voulu. Je pense que tu n'es pas revenu pour rien. Tu veux me faire sentir le poids du passé. Je n'aime pas ça Azad. Tu es mon fils, et je suis ton père. Azad sentit le fond de la pensée de son père. Ses allusions à son enfance étaient telles des flèches empoisonnées. Il savait que cela blessait l'ego de son paternel, qui, au fond de lui, savait qu'il avait manqué à son devoir de père. Pas seulement envers lui. Il y avait aussi Katia qui souffrait aujourd'hui de cette situation. Et pourtant, elle avait sa mère ! Le jeune homme se lève : - Je ne veux rien te faire sentir. Le passé est derrière moi. J'aimerais seulement que tu t'intéresses un peu à la famille. Katia est encore à la fleur de l'âge. Je n'aimerais pas qu'elle souffre autant que j'ai souffert. Sur ces paroles, il quitte les lieux, sans laisser à son père le temps de répondre. Il connaissait ses réponses. Il les devinait. Il connaissait bien le caractère acariâtre de son paternel qui, en vieillissant, perdait de son assurance. Cet air autoritaire qu'il affichait cachait très mal ses faiblesses. Son père était un faible. Il n'avait pas trouvé mieux que son air sévère pour s'affirmer. Un cas intéressant pour les innovations scientifiques dans le domaine des progrès modernes de la psychologie. (À suivre) Y. H.