La dernière fois que je l'ai vu, c'était à Béjaïa, sa ville natale, au détour d'une ballade littéraire animée par Fateh Bouhmila et Nouredine Saïdi, éclaireurs culturels. II était dans la salle, comme les autres, avec l'œil gauche recouvert d'un bandeau. Aucune inquiétude : juste une opération de la cataracte. Sa voix était douce comme ses chansons, comme toute sa personne. Il ne voit pas le monde sous l'angle des rapports de force, mais de l'harmonie. Fou ? Non. Rêveur ? Oui, comme tous les poètes. Et Djamel est un poète, pote de tout le monde. Il fallait voir comment il était entouré. Fateh lui lance : “On aimerait organiser un gala, tu participes ?" Djamel sourit et répond : “Gratuitement bien sûr !" Fateh s'esclaffe : “Cela coule de source." La source de la générosité. Il est ainsi Djamel Allam : il ne monnaye pas son art, il l'offre à ses concitoyens, partant du principe d'utilité. Pour lui, comme pour Léo Ferré qu'il a connu, l'art doit être partagé par le plus grand nombre. J'ai assisté à un gala de Léo ferré à Bobigny. J'ai entendu son cri lancé aux spectateurs : “Hé, je chante pour ceux du fond !" Comprendre les prolétaires qui n'ont pas assez d'argent pour se payer une place aux premières loges. Djamel est comme ça : il aime le peuple dans sa profondeur. Mais s'il ne pose pas à la star, malgré lui, c'en est une, de celles qui tracent un profond sillon dans la culture algérienne. Et non de celles qui relèvent de la mode et du prêt-à-porter sitôt célèbre sitôt oublié. Regardons son parcours, il donne le vertige. D'abord chanteur chaâbi et andalou, puis moderne. En 1967 (mais quel âge a-t-il ce diable de jeune homme éternel ?) le voilà à Marseille. Machiniste au théâtre du Gymnase, il frôlera Brassens, Moustaki, et surtout, pour un rebelle comme lui, Léo Ferré, le grand Léo que Djamel chante à merveille. De retour à Alger, il sera, entre autres, directeur artistique du cabaret La Voûte à Moretti. En ce temps, jeunes gens, il y avait des cabarets où on chantait l'amour et la fraternité. Avec des ténors qui répondront à l'invitation de Djamel : Léo Ferré, bien sûr, ainsi que tant d'autres. Où êtes-vous neiges d'antan ? Oued El-Harrach et la décharge d'Ouled Fayet nous répondent : “A d'autres temps, d'autres mœurs". En 1973, Djamel crève l'écran de l'Algérie socialiste avec un tube qui n'a pas pris une ride depuis : "Mara-dyoughal". S'enchaînent alors les succès, dont Salimo qui décrochera le premier prix de la jeune chanson internationale. Chanteur-compositeur, Djamel est aussi acteur dans plusieurs films : "Fort Saganne", "Morituri", "Ben Boulaïd", etc. Mais plus que ça, il est avec Boudjema El-Ankis et Lounis Aït Menguellet l'un des derniers monstres sacrés de la chanson algérienne à texte, celle qui puise ses valeurs dans notre terroir et qui nous rend heureux et fiers d'être Algériens. H. G. [email protected]