Faute d'un compromis sur la future Constitution qui bloque l'organisation de nouvelles élections, la Tunisie est plongée dans une crise politique aiguë. Celle-ci s'est dernièrement aggravée avec le refus du mouvement Ennahda au pouvoir d'accéder à la demande de l'opposition de remanier la composante du gouvernement et de retirer aux islamistes des ministères régaliens. Parallèlement à l'impasse politique, les violences ne cessent de se multiplier. Plusieurs opposants ont accusé des milices de la Ligue de protection de la révolution (LPR), présentées comme étant proches d'Ennahda par la presse tunisienne, d'orchestrer des heurts ou des attaques contre l'opposition. Leur but : neutraliser la société par la peur et se préparer à s'emparer du pouvoir par la force dans le cas où les résultats des urnes n'iraient pas en leur faveur. Ces violences, régulièrement dénoncées par l'opposition et la société civile, ont atteint un pic avec l'assassinat, hier à Tunis, de Chokri Belaïd, un des principaux chefs de l'opposition tunisienne. Ce meurtre, non encore revendiqué, a spontanément provoqué des manifestations de colère et des attaques contre des locaux du parti islamiste au pouvoir, Ennahda. Le mouvement islamiste dirigé par Rached Ghannouchi a été encore accusé d'avoir commandité ce meurtre. Zohra Abid, rédactrice en chef du site d'info Kapitalis et amie de cette figure de l'opposition a accusé, quant à elle, les milices de la LPR d'être derrière son assassinat. Les regards se sont directement orientés vers celles-ci car elles ont déjà été accusées d'avoir tué, en octobre dernier, Lotfi Nagdh, représentant de Nida Tounes à Tataouine, et qu'elles n'hésitent pas à recourir à la violence pour s'imposer sur le terrain. Le précédent Lotfi Nagdh En fait, les lâches assassinats de Chokri Belaïd et de Lotfi Nagdh sont effectivement loin de renvoyer à un épiphénomène. La violence politique et le terrorisme sont devenus une réalité dans le paysage politique tunisien depuis plusieurs mois déjà. Sauf que le gouvernement de Djebali a décidé, par calcul politique sans doute, de ne pas trop en parler et de fermer l'œil sur certaines des exactions commises par les islamistes radicaux. La complaisance et parfois la complicité dont font preuve certains dirigeants d'Ennahda à l'égard des salafistes risquent aujourd'hui de coûter cher à la Tunisie. Si rien n'est fait pour contenir toute cette violence, il est d'ailleurs à craindre que la Tunisie connaisse la même tragédie que l'Algérie. Cette complaisance est interprétée, en tout cas, comme un permis de tuer. Les djihadistes tunisiens, aidé par AQMI, ont également ainsi mis à profit la confusion politique ambiante pour «ré-islamiser» la Tunisie et mettre dehors les «forces impies». Bien entendu, leur objectif suprême est d'y instaurer un califat, projet qui ne serait certainement pas pour déplaire à Ennahda. C'est ainsi que toute l'année 2012 a été émaillée par des accrochages sanglants entre des djihadites et les forces tunisiennes de sécurité. Suite à une soudaine flambée de violence au cours de laquelle des salafistes et des jeunes se sont affrontés aux forces de sécurité, faisant plus de 100 blessés, dont 65 parmi les policiers, le Premier ministre, Hamadi Djebali, a d'ailleurs été bien obligé, le 12 juin dernier, d'instaurer le couvre-feu à Tunis (de 21h à 5h) et dans sept autres gouvernorats du pays (Ben Arous, Manouba, Sousse, Monastir, Jendouba, Médenine et dans la ville de Ben Gardane) pour reprendre le contrôle de la situation. En l'espace de 24 heures, des postes de police, des sièges de parti politique et celui de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), la puissante centrale syndicale, ont été incendiés, des routes bloquées en plusieurs endroits. A Sijoumi, un tribunal, spécialisé dans les affaires financières a même été la proie des flammes. La complaisance coupable d'Ennahda La situation a été jugée d'autant plus préoccupante qu'elle a correspondu avec la diffusion, abondamment relayée sur les sites internet, d'un appel attribué à Ayman Al Zawahiri, dans lequel le chef d'Al Qaîda, successeur d'Oussama Ben Laden, avait incité les Tunisiens à réclamer la charia. Puis la tension est encore montée d'un cran avec un autre message, d'un «chef» salafiste tunisien cette fois, Abou Ayoub, qui avait appelé dans une vidéo à «un soulèvement populaire». En octobre 2011, le même personnage avait lancé, rappelle-t-on, les attaques contre la chaîne de télévision Nessma TV. Pour la petite histoire, Abou Iyadh – de son vrai nom Seif Allah Ibn Hussein –, chef d'Ançar Al Charia en Tunisie, est soupçonné, malgré ses démentis, d'avoir orchestré l'attaque contre l'ambassade des Etats-Unis le 14 septembre 2012 à Tunis, qui a fait quatre morts parmi les assaillants. Il est recherché depuis cette date pour «homicide volontaire avec préméditation, complot contre la sécurité intérieure du pays, attaque contre la sécurité extérieure de l'Etat» ainsi que la formation d'un groupe «en vue de commettre un acte terroriste» en Tunisie et à l'étranger. Les incidents, qualifiés à l'époque d'«actes terroristes» par le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Khaled Tarrouche, ont commencé à éclater le 10 juin 2012, jour de la fermeture du Printemps des arts, principale manifestation tunisienne des arts plastiques depuis une dizaine d'années, organisé au palais Abdellia, dans la banlieue chic de Tunis, à La Marsa. Plusieurs artistes y exposaient leurs œuvres récentes mais aussi leurs profondes angoisses. Loin d'être injustifiées, ces angoisses sont aujourd'hui partagées par tous au Maghreb.