“C'est un journaliste de grand talent, ancré dans l'universalisme, le type de personnes dont l'Algérie avait besoin. Son assassinat est un crime contre l'Algérie, un assassinat de son avenir", déplore Amine Khan qui, lui aussi, a parlé de Djaout au présent. On lui doit notamment la célèbre expression “la famille qui avance et la famille qui recule". Mais pas seulement : des poèmes d'une rare beauté et des textes, témoins d'un homme à l'humanisme salué de tous. Vingt ans après son lâche assassinat, premier d'une longue série, Tahar Djaout est évoqué par quelques “résidus" de cette famille qui avance laborieusement dans une Algérie qui “recule" inexorablement. “C'est un modèle de journalisme d'engagement", témoigne de lui Hamid Abdelkader. Samedi à l'hôtel Essafir à Alger, au cours d'un hommage qui lui a été rendu par El Watan-Week-end en collaboration avec les éditions Barzakh à l'occasion de la sortie de Présence de Tahar Djaout, poète, ils étaient nombreux ses compagnons, ses amis pour raconter l'homme, le journaliste, le poète, mais aussi ses passions et ses angoisses. “Il prônait la médiatisation de l'intellectuel et l'intellectualisation du journalisme" dont il considérait “qu'elles étaient les deux faces d'une même médaille", soutient Hamid Abdelkader, journaliste à El Khabar dont le souvenir semble impérissable de sa première rencontre avec l'auteur des Vigiles alors qu'il venait de sortir fraîchement de l'université. “Chez lui, il n'y a pas de compromis avec la bêtise. Le journalisme doit être le gardien des principes de la famille qui avance." Ancien journaliste avec lequel il a longuement travaillé, Mohamed Balhi raconte que “Djaout est un amateur de la précision, sans fioritures". “C'est un poète. Ecrivain, on le découvre dans les Chercheurs d'os et journaliste, il était en train de construire une œuvre, une quête d'identité", dit Balhi, qui relate la rencontre de Djaout avec l'écrivain albanais, mondialement connu, Ismael Kadaré, au cours d'un reportage. “Il accordait beaucoup d'importance à la culture dans le journalisme. C'était un intellectuel, il était marqué par l'écrivain marocain Driss Chraïbi." Ameziane Ferhani, lui, a raconté quelques facettes de l'homme, sa vie de tous les jours. Anecdotes à l'appui, il raconte les voyages de Djaout au Yémen, à Lagos (au Nigeria) dont quelques aspects de ce voyage se retrouvent dans l'Exproprié. “Même si on était souvent invités dans des réceptions, lui préférait beaucoup un laitier à la rue Tanger, au cœur d'Alger", se souvient Ferhani. “Il y a aussi, ajoute-t-il, cette passion dissimulée pour les films hindous. Ferhani révèle que sur le livre d'or volumineux du Cap Sigli qui date de plusieurs décennies où il est allé faire un reportage, on peut retrouver un texte laissé par Djaout qu'il convient de sauvegarder." Le vœu de Ferhani ? “Qu'on regroupe ses textes journalistiques." Pour Arezki Metref, qui a travaillé également avec Djaout, notamment à l'hebdomadaire Ruptures, l'auteur de Solstices barbelés était l'un des rares journalistes qui accordaient beaucoup de place à la peinture et aux arts plastiques. “C'était le poète qui portait son regard sur la société. C'était un intellectuel, il savait le sens de son engagement", dit-il. Mais Djaout n'était pas seulement un journaliste. Une pléiade d'artistes est venue aussi raconter le poète, le ciseleur des mots. “Il est d'une générosité extraordinaire, marque de son humanité profonde", dit de lui Amine Khan. “C'est un journaliste de grand talent, ancré dans l'universalisme, le type de personnes dont l'Algérie avait besoin." “Son assassinat est un crime contre l'Algérie, un assassinat de son avenir", déplore Amine Khan qui, lui aussi, a parlé de Djaout au présent. Ce père n'a pas lésiné sur les qualificatifs pour dépeindre un homme tué à l'âge de 39 ans et dont le seul tort est d'être à équidistance du pouvoir et des intégristes. “Il faisait partie de la minorité par laquelle pouvait se développer l'alternative démocratique. C'est une perte irréparable pour l'Algérie." Hamid Nacer Khodja fait, lui, le parallèle entre Djaout et Jean Senac. “Il y a une grande parenté entre les deux, leur destin sanglant." Outre le fait d'avoir rendu hommage à Senac dans un de ses livres, Djaout, influencé par Rimbaud, était un grand critique d'art, soutient Nacer Khodja. Quant à Hamid Tibouchi, il raconte Djaout le poète qui puisait dans son enfance vécue en Kabylie. Selon lui, l'Algérie gagnerait à rééditer ses recueils de poèmes dont la plupart a été édité en France. Mais l'Algérie, qui a livré l'école à l'intégrisme, qui a banni de ses manuels Kateb et autres Djaout, le fera-t-elle ? Certainement le jour où la famille qui avance supplantera la famille qui recule. K K Nom Adresse email